Discours de Philippe Labro, fils de justes parmi les nations à la cérémonie Nationale D’Hommage

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La cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d’hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vel d’Hiv, a eu lieu dimanche 17 juillet 2022, en présence de Madame la Première ministre, Elisabeth Borne. Philippe Labro, fils de Justes parmi les Nations, a prononcé un discours fort à la cérémonie nationale d’hommage. Le voici.

Madame la Première Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, Madame la Maire, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les Présidents et Présidentes et représentants des différentes obédiences et organisations, cher Serge, chère Beate, chère Madame Arlette Testyler.

Un sentiment mélangé d’émotion et de fierté me saisit en ce jour bouleversant de commémoration, fierté qu’il m’ait été proposé par Yad Vashem de narrer l’histoire de mon père et ma mère honorés comme « Justes parmi les Nations ». Fierté et humilité car leur histoire n’est pas singulière, elle symbolise « ce réseau informel de bonté et compassion », termes évoqués par Jacques Chirac lorsque les Justes sont entrés au Panthéon, il y a 15 ans.


C’est une histoire de solidarité, de courage et d’amour.

À Montauban, dans une grande maison entourée de jardins sur les hauteurs de la ville, où il s’est installé avec sa femme, Henriette et ses 4 garçons, début 40, mon père reçoit un appel. Quand il était conseil juridique à Paris, avant l’exode, il avait, entre autres relations, celle d’un français juif, Norbert. Celui-ci l’appelle depuis Paris : « Je me réfugie à Biarritz, je m’enfuis, je m’enfuis !, pouvez- vous m’héberger quelques temps ? » « Bien sûr », répond mon père. Norbert va rester quelques jours chez nous. En partant, il dit à mon père : « Puis-je vous recommander quelques amis ? ». « Bien sûr », répond à nouveau ce dernier. Et c’est ainsi qu’un bouche à oreille démarre, et les « quelques amis » vont arriver, et désormais, cela ne s’arrêtera plus. On les héberge, certains restent longtemps. Les enfants, nous étions 4 garçons, constatent qu’il y a beaucoup de jardiniers dans le jardin et des hommes qui n’ont pas tout à fait l’usage complet du français, l’un d’entre eux, en particulier, Monsieur Germain. Il y a aussi une jeune femme, Dora. Elle va devenir comme une sœur pour ma mère. Dora est née Kummer. Elle fournira plus tard un document dont j’ai conservé l’essentiel : « Dans la maison de Monsieur Labro, a-t-elle écrit, on était toujours prêt à abriter les israélites traqués par la police. J’ai amené une nuit la petite Edith Kanfer, 13 ans, dont les parents réfugiés d’Autriche étaient poursuivis. Monsieur Labro a gardé la jeune Kanfer pendant plus d’un an, la traitant comme l’une de ses propres enfants. Il a accueilli toute la famille Abramovici, recueilli Madame Jeannette Grumbach en la faisant passer pour sa gouvernante, facilité l’évasion de Monsieur Kraus, ingénieur, également hébergé Monsieur Horowitz, originaire de Pologne, dont la femme avait été arrêtée la veille par la Gestapo.» D’autres exemples suivent – nombreux.

Nous, les enfants, 4 petits garçons, n’étions évidemment pas au courant de tout cela. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris comment, à partir d’une simple requête d’un simple ami que mes parents sont devenus les acteurs de ce geste de soutien qui vit alors naître et se développer une sorte de petit réseau utilisant les deux fermes possédées par mon père pour procéder à trois opérations. Un : recevoir et héberger les Juifs dans la maison elle- même. Deux : les exfiltrer ensuite vers les fermes plus éloignées dans la campagne pour que, Trois : ils partent pour les Pyrénées, munis de faux papiers. Certains d’entre eux demeurèrent dans les fermes, certains même pendant toute l’Occupation. Tant que la zone française est libre, le système se déroule sans trop de difficultés, mais avec la discrétion et le secret nécessaires, car les délateurs ne manquent pas en ville, les collabos. Lorsque les nazis occupent toute la France et que la division SS Das Reich investit Montauban, tout change. Le danger est plus constant, le risque plus grand, cela ne freine pas la chaîne de solidarité dont mon père et ma mère sont le rouage   principal   et   la   maison,   une   sorte   de   carrefour   des « visiteurs ». Nous les appelions ainsi : « les visiteurs ». Je me souviens encore de ces « visiteurs ». J’entends encore le bégaiement de Judith que la tombée de la nuit terrifiait. Je revois le visage hanté de Jeannette et puis celui de ce Monsieur Germain qui était, d’une certaine manière, le jardinier en chef. Monsieur Germain prenait un vélo pour chercher des engrais. Un jour, les garçons, pour s’amuser, pour faire les imbéciles, avons poussé l’arrière du vélo en criant : « Monsieur Germain ! Monsieur Germain ! ». Ceci, en pleine avenue de Beausoleil, hors de la propriété et à l’écoute des voisins. Mon père, prévenu de cette brèche de confidence, nous convoque dans son bureau, au milieu des livres, face au buste de Voltaire. Et là, il nous dit tout. Il identifie Monsieur Germain, il s’appelle Monsieur Bloch. Il nous informe de ce que lui et ma mère ont entrepris. Il nous apprend qui sont les nazis, ce qu’ils font. Leur machine à exterminer. Il nous apprend qui sont les juifs. Nous lui posons des questions. Il parle d’intolérance. L’un de nous demande : « C’est quoi l’intolérance ? » Il répond : « C’est quand des gens refusent qu’on ait une opinion contraire à la leur, ou qu’on n’ait pas la même couleur de peau qu’eux. Et quand ils sont prêts à tuer à cause de cela. Et bien, mes enfants, l’antisémitisme, c’est exactement cela. Les nazis sont prêts à tuer. Et ils tuent. » Il va administrer, pendant une heure et demie, une leçon de vertu, de valeurs, et de silence que je n’ai jamais oubliée.

Le silence, il en faudra encore plus lorsque le Sturmbannführer, commandant la place de Montauban, décide de réquisitionner le 1er étage de notre maison. Son ordonnance avait fait le tour des maisons et trouvé que la nôtre était la meilleure. C’est, selon lui, plus agréable que de vivre à la caserne, en bas, en ville. Dès lors, et cela va durer à peu près 3 à 4 mois (on est en février 1944 à 5 mois du débarquement allié), notre vie quotidienne se résume dès lors à une situation exceptionnelle, presque invraisemblable, car au premier étage, il y a l’officier nazi et son ordonnance. Au rez-de-chaussée, mon père couché sur un canapé pour tout contrôler, au milieu du couloir d’entrée. Les 4 garçons dans une seule chambre, ma mère dans la sienne. En bas, au sous-sol, dans la buanderie, une famille de juifs, les Bernard, un couple avec un petit garçon de mon âge, le petit Maurice, que je retrouverai 50 ans plus tard. Malgré la présence de l’officier nazi, nos parents vont continuer, de façon plus prudente, mais plus parcimonieuse certes, leur mission d’aide et d’exfiltration. Lorsque, devenu adulte, j’ai pu tout comprendre et me documenter, j’ai écrit un livre à ce sujet. Une femme vivant en Israël, Colette Hazan, elle-même sauvée par les Justes, m’a écrit : si je recueille quelques témoignages, mes parents devraient être honorés par Yad Vashem. Ce fut le cas, en l’an 2000. Dossier numéro 9 041 dans le dictionnaire des Justes. Ce dictionnaire, je l’ai longuement parcouru et j’y ai lu d’innombrables anecdotes, récits, gestes équivalents à ceux de mes parents. Je me suis toujours posé 2 questions : mes parents avaient-ils conscience du risque qu’ils ont pris pour eux- mêmes et leurs enfants ? Deuxième question, qu’aurais-je fait à leur place ?

S’il y a 4 150 Justes, il y a, en fait, et en vérité, des milliers de Justes, voire, peut-être, un million. En effet, ce sont ceux qui n’ont pas été honorés. Les Justes honorés, c’est la partie émergée d’un iceberg. Mais chacun sait que la partie la plus importante d’un iceberg, c’est celle qu’on ne voit pas. Et bien, ce sont les concierges, les instituteurs, les curés, les médecins, les ouvriers agricoles, les employés municipaux qui fabriquaient les faux-papiers, les maitresses d’école, les passeurs à la frontière du Jura pour aller en Suisse, les paysans, les modestes citoyens qu’ils soient catholiques ou laïcs, toutes celles et ceux jamais recensés qui ont fait un petit ou un grand geste respectant ainsi la phrase prononcée par Monseigneur Saliège: « Les Juifs sont des hommes, les Juifs sont des femmes, tout n’est pas permis contre eux ». (Toulouse, 23 août 1942). Les Justes ce sont tous ces êtres humains qui, d’une façon ou d’une autre, ont aidé. C’est une concierge qui dit : « Ne rentrez pas chez vous, la police arrive ». Ou un autre, un policier ? Y-en-a-t-il eu 1 ou 2 policiers conscients de l’horreur que leur préparait la Préfecture de Police de Paris sous les ordres du Gouvernement de Vichy ? – et qui dit : « Demain, il va y avoir une rafle, ne venez pas ». Il l’a dit. Ce sont tous ces anonymes dans le sud-ouest, le sud-est, la Provence, la Franche Comté, dans Paris, Lyon, et d’autres villes, qui ont formé un « tissu social complice, voire une résistance civile », pour employer les formules de Jacques Semelin, auteur d’un livre capital : « La survie des Juifs en France ».

J’ai la conviction que l’honneur fait à mes parents doit être partagé avec ces centaines de milliers de héros ordinaires qui, un jour ou l’autre, ont tendu la main. C’est à eux que je dédie cet honneur. Cher Serge, tu l’as si bien dit, en vérité, selon moi, il y avait 3 France, la France des collabos et des délateurs, oui, la France des salauds, Papon, Laval, Bousquet, et celle des inertes, des neutres ou des prudents et des peureux – sans doute la majorité, mais il y avait une autre France, celle de l’action, la décision, la générosité. Ça n’était pas la France du Chagrin et de la Pitié, c’était celle de la Bonté et du Courage. Ce sont les « Justes de l’ombre », (comme il y eut une armée des ombres) – et dont les noms n’ont jamais été gravés dans aucun marbre.

Ma mère, alors que mon père avait déjà disparu, a été honorée par Yad Vashem, à Nice, en Janvier 2001. Petite cérémonie intime, elle ne peut plus se déplacer ou presque. Devant mes enfants et mes frères, car nous voulions que nos enfants soient là, après quelques interventions des responsables régionaux de Yad Vashem – venus de Marseille, je lui demande : « Tu as quelque chose à dire ? » Elle a répondu, avec un sourire, de sa petite voix cristalline : « Oh, vous savez, ça n’était pas très difficile de faire ce qu’on a fait. On les aimait. »

On les aimait !

Amour, fierté, humilité, il nous appartient, à nos enfants, petits- enfants, et arrière-petits-enfants de Justes parmi les Nations de conserver et transmettre de telles vertus, offrir ces chances que les martyrs du Vel d’Hiv, les déportés – les victimes – les martyrs de Pithiviers – les martyrs des camps – n’ont jamais eu le droit de vivre ou de connaître.

Je vous remercie.”

 

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