Discours de Nathalie Cohen-Beizermann à l’occasion de la cérémonie d’Yzkhor

Foto: Comme chaque année, le Farband – Union des sociétés juives de France – a organisé une cérémonie du souvenir à la mémoire des victimes de la Shoah au cimetière parisien de Bagneux. À cette occasion, Nathalie Cohen-Beizermann, vice-présidente du Crif a pris la parole. Por:
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« Chers amis,

Chaque année, à l’initiative du Farband, nous nous réunissons pour honorer le souvenir des victimes de la Shoah. Toujours au même endroit, toujours à la même période de l’année : comme le veut la tradition, le dimanche entre Roch Hachana et Kippour.

Cette cérémonie se nomme Yzkhor, du nom de la prière que nous écoutons chaque année dans toutes les synagogues au moment de Kippour. Yzkhor, c’est la prière des défunts. Alors que la fin du jeûne approche, c’est un appel à se souvenir. Se souvenir… la mémoire, c’est une partie intégrante de l’identité juive. C’est pour honorer la mémoire des six millions de vie innocentes fauchées par la cruauté et la barbarie de la Shoah que nous sommes réunis aujourd’hui. Cet acte de mémoire est un devoir sacré que nous portons collectivement, une responsabilité envers ceux dont la voix a été étouffée par l’horreur.


Je fais ce discours devant vous, alors que juste derrière moi, il y a le caveau de ma famille, les Sidlovski. Sur cette pierre, le nom de mon arrière-grand-père Michel et celui de son frère Maurice. Le premier est mort pour la France en 1915 à Notre-Dame-De-Lorette, alors que quelques années plus tard, le second était arrêté à Paris par la police française, et déporté puis assassiné à Auschwitz. Aucun des deux corps n’est dans ce caveau. Michel est tombé au champ d’honneur et son corps n’a jamais été retrouvé. Maurice est parti en fumée dans les cheminées des crématoires.

En souvenir de ces vies arrachées, de ces destins que les nazis ont voulu faire disparaître nous sommes engagés à être les gardiens de la mémoire et à transmettre aux générations futures cette histoire, à bâtir et réparer un monde où les atrocités ne pourront plus se reproduire.

À l’heure ou un sondage révèle que pour 6% des moins de 35 ans la Shoah est une invention, où des responsables politiques irresponsables et décérébrés veulent inverser l’accusation de génocide contre les Juifs, ce temps qui nous permet d’honorer la mémoire de nos disparus est primordial.

« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » : on prête à Winston Churchill cette citation, mais je suis certaine qu’il l’avait entendu chez un juif. Car, oui, nous sommes le peuple de la mémoire. Tout le calendrier juif est jalonné de fêtes, toutes reliées plus ou moins à des moments de victoires remportées sur nos ennemis aux temps bibliques. Mais dans notre histoire contemporaine, nous insérons à ce calendrier juif, hélas d’autres dates dont il faut se souvenir.

Car, si nous sommes ici pour nous souvenir des Juifs assassinés pendant la Shoah, le pire crime du 20ème siècle, la barbarie ne s’est pas arrêtée pour autant.

Du meurtre des athlètes aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, en passant par l’attentat de la rue des Rosiers, sans oublier Toulouse, l’Hyper Cacher, etc.

Depuis le 7 Octobre, la haine des Juifs dévoile les failles béantes laissées ouvertes par le communautarisme et l’assignation identitaire. Autant d’insultes faites à l’universalisme républicain.

Que les Français juifs expriment une sincère préoccupation face à la montée de l’antisémitisme ne constitue pas une forme de communautarisme. Au contraire, il s’agit bien, s’il le fallait, d’une preuve supplémentaire de leur attachement aux valeurs républicaines. C’est parce que leur conscience citoyenne est forte et historiquement ancrée et parce que leur devenir est intrinsèquement lié à celui de la République qu’ils disent, à haute voix, le péril qui les menace et qui menace la République.

***

Alors : comment ne pas évoquer aujourd’hui la tragédie du 7 Octobre 2023 que nous allons commémorer demain ?

Comparaison n’est pas raison. En aucun cas, on ne peut utiliser le terme de Shoah pour évoquer ces massacres, car ce serait nier la spécificité de ce qui s’est produit pendant la Seconde Guerre mondiale pour nos six millions de Juifs restés sans sépulture. Le 7 Octobre, est un pogrom du 21e siècle. Mais ce n’est pas la Shoah.

Les paroles et les mots sont essentiels pour réparer et pour transmettre. Au cours de l’année qui vient de s’écouler, il y a eu des morts, beaucoup de morts. Des Juifs et des non-Juifs. Et en tant que Juifs, on ne peut supporter l’accusation qui nous est faite de ne pas considérer que toutes les vies se valent. Nous nous désolons de toutes les détresses des populations civiles.

L’appel fait par Jean-Luc Mélenchon à ce que le drapeau palestinien soit déployé demain 7 octobre dans toutes les Universités est une insulte aux victimes de ce pogrom. Il s’agit sans ambigüité d’un signal antisémite qui n’est pas tolérable. En République, la solidarité ne saurait servir de prétexte à l’antisémitisme. Vouloir servir la cause palestinienne et déployer son drapeau n’est pas illégitime. Mais nous avons tous compris sa signification par son appel à le déployer en masse le 7 octobre. C’est clairement une parole qui blesse, c’est la parole décomplexée de l’antisémitisme. C’est sans aucune ambigüité un appel à la violence. C’est la volonté de continuer à fragiliser les Juifs en France, en faisant resurgir les fantômes du passé, ressurgir un temps que nous tous avions cru révolu.

Si la Shoah est tombée dans le temps du deuil et de la mémoire, ce deuil ne peut s’accomplir pour le 7 Octobre puisque la guerre continue et que les otages n’ont toujours pas été libérés, certains ont même été massacrés après onze mois de captivité.

Dans ce contexte, les derniers survivants de la Shoah, ceux qui ont traversé cette période, doivent eux aussi combattre pour empêcher toute résurgence de l’antisémitisme.

Même si les derniers témoins disparaissent un à un, leur voix sera d’autant plus forte.

Comme le disait Michel Jonasz dans une de ses chansons, « ils s’éteignent comme des brindilles ». Mais ils sont pourtant des chênes, porteurs de témoignages tout au long de leur vie. Je voudrais rendre hommage à Victor Perahia qui s’est éteint dimanche dernier. Il était Président de l’Union des Déportés d’Auschwitz. Nous nous souviendrons de sa force, de la précision de sa mémoire et de sa gentillesse. Bergen Belsen n’a pas eu raison de son humanité.

À quelques jours de Yom Kippour, que beaucoup traduisent comme jour du Grand Pardon mais qui est surtout un moment de réflexion, de réconciliation avec nous-même et avec l’Autre et de responsabilité, il sera l’heure pour nous tous de nous rappeler cette résilience historique, qui est une des forces de notre peuple. À l’image de celle que nous inspire la Shoah aujourd’hui.

Le 7 Octobre a accru sans aucun doute notre sentiment de vulnérabilité et de deuil. C’est pourquoi Yom Kippour sera particulier cette année, car nous réfléchirons collectivement et individuellement à l’importance de notre unité et de notre solidarité, pour être plus forts ensembles. Ensembles français attachés aux valeurs de notre République.

Pour 5785, je souhaite que nous trouvions la force de combattre en ces temps où l’antisémitisme vient troubler la France tout entière, Restons mobilisés et conscients pour lutter contre toute forme de haine et d’intolérance.

Merci à la France, à ses forces de l’ordre qui assurent notre protection, à l’État de droit qui a permis aux Juifs de s’épanouir en tant que tels permettant à chacun de vivre et de prospérer. Pour les mesures prises pour protéger et soutenir la communauté juive, qu’il s’agisse de lois contre l’antisémitisme notamment.

J’aimerais pouvoir affirmer :  il n’y aura plus de Shoah. Car aujourd’hui, les Juifs ont un État, une armée pour les défendre. Les Juifs en Israël sont debout, résilients, les armes à la main pour défendre leur pays dont l’existence est contestée depuis sa création, il y a maintenant 76 ans. L’image du Juif errant soumis à la volonté des peuples a vécu.

Pour que ces vœux se réalisent : Restons debout pour vaincre les ténèbres. »

 

Nathalie Cohen-Beizermann, vice-Présidente du Crif

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