Le génocide des Tutsis n’avait pas été préparé quatre ans à l’avance

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Au cours des 20 années d’existence du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le travail de vérité et l’œuvre de justice ont avancé de pair pour illustrer et comprendre les très concrètes « politiques du génocide ». Il ne s’agissait plus alors de questionner le « pourquoi » de ce génocide, dont tant de conférences et colloques exposaient les fondements présumés, mais de répondre au « comment ».
Comment, quand, qui a décidé, mis en œuvre, entretenu pendant trois mois le génocide des Rwandais tutsis au printemps 1994. Cette histoire factuelle de l’accomplissement des massacres s’est attachée à établir le plus objectivement possible comment « les choses se sont passées » dans les différentes préfectures, selon les groupes d’acteurs et les individus.

L’impressionnante documentation et les savoirs accumulés grâce aux investigations et aux dispositifs d’enquêtes de terrain mis en œuvre par le TPIR constituent des acquis incontournables.

L’histoire de la guerre enclenchée par la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) en octobre 1990 et du génocide de 1994 est une histoire complexe. Elle éclaire les processus de décision au sommet, les stratégies d’exacerbation du clivage ethnique par les blocs armés – forces régulières et rebelles – et celles visant à étouffer les aspirations et les forces démocratiques, elle éclaire aussi la volonté d’en découdre de ces mêmes blocs armés à partir du 6 avril, après l’attentat contre l’avion présidentiel.


Cette histoire s’efforce de reconstituer la mise en place du gouvernement du génocide et sa prise de contrôle de l’appareil d’État. Les enquêtes restituent les ambitions, les calculs et les actions des entrepreneurs de massacres, mais aussi les résistances aux ordres de tuer et les sauvetages de Tutsis et d’opposants en danger de mort.

Les résultats de ces recherches ont fait l’objet de dépositions contradictoires devant les chambres du TPIR et nourri de nombreux jugements. Ainsi, au nom des faits examinés, les juges de toutes les chambres se sont refusé à entériner une histoire intentionnaliste du génocide des Tutsi qui voudrait qu’il ait été préparé depuis 1990 au début de la guerre déclenchée par le FPR, voire depuis la proclamation de la République « hutu » en 1959, selon l’actuelle vulgate proclamée.

On comprend mieux alors l’animosité des autorités rwandaises suscitée notamment par les jugements les plus importants et les plus récents du TPIR visant les accusés réputés être les cerveaux du génocide qui ont systématiquement refusé d’entériner les postulats de l’historiographie officielle selon laquelle les différentes composantes de l’État rwandais étaient autant d’organisations criminelles.

Le gouvernement en place le 6 avril 1994 n’était pas génocidaire. Son Premier ministre (assassinée le 7 avril) et le Haut commandement militaire n’étaient pas génocidaires. Le génocide est l’aboutissement d’une stratégie politique, mise en œuvre à partir du 7 avril par des groupes politico-militaires extrémistes hutus, ceux qui avaient le plus à perdre s’ils ne s’imposaient pas, qui ont estimé qu’après l’attentat et la reprise inéluctable de la guerre le moment était venu de trancher par les armes le conflit avec le FPR et d’en finir avec les forces politiques qui le soutenaient à l’intérieur. Le gouvernement intérimaire alors constitué a ensuite érigé le génocide des Tutsi en « politique publique ».

Cette issue n’était ni fatale ni anticipée, au fil des jours et des semaines, les logiques de confrontation paroxystique n’ont pu être poussées aussi loin que parce que les protagonistes ont refusé toute autre issue, que les coûts humains induits leur ont paru acceptables au regard des objectifs poursuivis.

Elle ne relève d’aucune malédiction historique ou atavisme propre à un continent, un peuple, une ethnie, elle n’est pas le fruit d’une conspiration internationale, elle est l’œuvre d’individus et de groupes clairement identifiés dont il est possible désormais de décrire les stratagèmes auxquels ils ont recouru pour déclencher ce cataclysme, et entretenir trois mois durant la mécanique des massacres. La plupart d’entre eux ont été jugés et condamnés.

D’autres, et notamment les responsables du FPR, auquel le TPIR a accordé une impunité complète, le seront nécessairement car les crimes liés au génocide, aux crimes de guerre et contre l’humanité sont imprescriptibles. Pour autant bien des épisodes demeurent encore méconnus et il importe de combler l’écart entre l’abondance des données relatives au génocide et au régime Habyarimana et l’indigence des informations relatives à la stratégie et aux objectifs de guerre du camp vainqueur et de ses soutiens étrangers, une guerre dont ils ont pris et gardé l’initiative pendant ces quatre années.

Certes, la vérité judiciaire est une vérité soumise à des normes spécifiques, elle est aussi relative aux savoirs disponibles lors des procédures et aux éléments de preuves soumis aux juges du TPIR par les parties. À ce jour, aucune autre instance n’a mobilisé autant de moyens pour les établir, ni ne dispose d’éléments majeurs qui n’auraient pas été pris en compte. Sur tous les dossiers, les autorités rwandaises ont pu fournir les témoins et preuves accréditant leurs thèses.

Dans ce contexte, qu’elles accusent de parti pris politique des juges dont les décisions et analyses ne leur conviennent pas relève d’une approche qui n’a rien à voir avec la vérité et la justice. En l’état des preuves disponibles et des faits établis, cette contestation relève d’une pure stratégie de dénégation, au profit d’une histoire officielle.

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