Par Y. Carmon et A. Savyon *
Lors d’une intervention, le 28 juin 2016, au Aspen Ideas Festival, dans le Colorado, la question a été posée au Secrétaire d’Etat américain John Kerry de savoir si l’influence de l’Iran en Irak était “plutôt utile ou plutôt préjudiciable”. Il a répondu : “Regardez, nous avons des défis à relever avec l’Iran, comme chacun sait, et nous y travaillons. Mais je peux vous dire que l’Iran a été, d’une certaine manière, utile en Irak, et qu’il s’est clairement concentré sur l’EI – Daesh, de sorte que nous avons un intérêt commun”. [1]
Cette déclaration confère une légitimité américaine à la présence et aux activités militaires de l’Iran sur le sol irakien, basée sur l’affirmation d’intérêts communs entre l’Iran et les Etats-Unis dans le combat contre l’Etat islamique (EI) et sur le fait que l’Iran serait un « élément utile”. En outre, Kerry a déclaré que l’Iran se focalisait en Irak sur la guerre contre l’EI.
Une telle évaluation ne tient pas compte des activités de l’Iran et des milices chiites en Irak contre la population sunnite locale, ou encore des informations faisant état de nettoyage ethnique et d’atteintes aux civils non chiites dans le pays. [2]
De même, en conférant cette légitimité à l’Iran, il ne fixe aucune condition ou restriction, octroyant l’approbation des Etats-Unis à l’ambition historique du régime iranien de placer l’Irak sous son contrôle et de le diviser en provinces chiites et sunnites. [3]
Notons qu’au cours des deux années écoulées, l’Iran a mené des opérations militaires en Irak, par le biais de milices chiites créées sous le commandement du commandant des Forces Al-Qods des Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), Qassem Suleimani, et avec aussi une récente implication directe de troupes iraniennes. Un rapport exhaustif sur ce sujet suivra.
La page Facebook “Iran Military”, affiliée au CGRI, affiche une photo représentant des soldats iraniens et irakiens en armes, côte-à-côte en Irak.
Cette légitimation par l’administration américaine met aussi en lumière son soutien à l’Iran chiite contre le monde sunnite, qui s’est également manifesté par les concessions importantes consenties à l’Iran dans le cadre du JCPOA. Cette affinité s’inscrit dans les conceptions politiques et idéologiques du président Obama, exprimées dans les interviews relatifs à la nécessité de créer un équilibre chiite-sunnite dans la région [4].
A cet effet, Obama a même appelé les Saoudiens à accepter le relèvement du statut géopolitique de l’Iran dans le monde sunnite. Il convient de mentionner que les musulmans chiites ne représentent que 10 % environ de la population musulmane totale, et que le plan américain visant à renforcer les chiites au détriment des sunnites rencontre une opposition véhémente de la part des principaux pays sunnites.
Il convient également de mentionner que cet appui américain à la présence iranienne en Irak est interprété comme un soutien, et constitue de fait un soutien à l’axe de résistance Iran-Syrie-Hezbollah-Yémen-Irak dans son ensemble, et pas seulement à l’Iran, ce qui accroît encore l’opposition du monde sunnite à la politique américaine dans la région.
* Y. Carmon est le président de MEMRI, A. Savyon est directrice du Projet de veille des médias iraniens de MEMRI.
Notes :
[1] State.gov/secretary/remarks/2016/06/259165.htm, 28 juin 2016.
[2] Foreign Policy, 19 février et 28 mars 2015.
[3] Il convient de mentionner que l’Iran se bat aussi contre les Kurdes au nord de l’Irak. Selon des informations publiées au cours des deux semaines écoulées dans la presse iranienne et arabe, les forces des CGRI ont bombardé des troupes kurdes à la frontière Iran-Irak. Tasnim (Iran), 28 juin 2016 ; Orient-news.net, 28 juin 2016.
[4] Voir MEMRI Daily Brief No. 51, Obama’s Strategy Of Equilibrium, 5 août 2016.
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