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Mohamed ElBaradei, ancien directeur de l’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique] et ancien vice-président égyptien, a évoqué les problèmes auxquels sont confrontées les sociétés arabes, dont le taux élevé d’analphabétisme. Il a affirmé que « l’éducation est une composante fondamentale du savoir si l’on veut créer une société fondée sur le savoir plutôt que sur la sorcellerie ». ElBaradei, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2005, a estimé que l’adversité opposant populations islamiques et laïcs dans les sociétés musulmanes rappelait les guerres entre protestants et catholiques de l’Europe du XVIIe siècle. « Pendant 300 ans, ils se sont entretués, et après avoir assassiné 50, 60 ou 70 millions de personnes, ils ont compris que s’entretuer n’était pas la solution », a-t-il affirmé. ElBaradei donnait cet interview le 4 février 2017 sur Al-Araby TV. Extraits :
Mohamed ElBaradei : Nous sommes un peuple qui base son existence sur la peur, non sur les rêves. Nous avons commencé la révolution avec un rêve, mais aujourd’hui, nous sommes un peuple qui vit sur la peur – la peur du terrorisme, la peur de ne pas gagner sa vie, la peur de manquer de médicaments… Nous vivons dans la peur. Nous avons également peur les uns des autres. Cette situation nécessite que nous marquions tous un temps pour examiner notre état actuel. Nous ne nous trouvons pas où nous voudrions être. Nous n’avons pas atteint les objectifs de la révolution. […]
Depuis le jour où je suis rentré en Egypte, je ne cesse de dire que la liberté est liée à la subsistance. Tant que je ne serai pas un homme libre, je ne pourrai créer, innover, être productif, ou comprendre ce qui se passe autour de moi, et je ne pourrai progresser. […]
Selon un rapport de l’ONU de 2002 sur le développement humain dans le monde arabe, nous avons trois problèmes. Ils concernent tous les pays arabes, y compris l’Egypte, à des degrés divers. Ce sont : [le manque] de liberté, de savoir et d’égalité, et particulièrement d’émancipation pour les femmes. Nous souffrons toujours de ces trois problèmes. Sans liberté, il n’y a pas de connaissance, et sans connaissance, il n’y a pas de liberté, et sans liberté ou connaissance, il n’y a pas d’égalité. Nous devons affronter nos problèmes avec courage, et comprendre qu’il n’y a pas de gagnants ou de perdants ici. Soit nous gagnons tous, soit nous perdons tous. […]
En ne permettant pas une révolution pacifique, on ouvre la voie à une révolution violente. Nous devons comprendre cela dans le monde arabe. Pas seulement le comprendre… Nous voyons ce qui se passe dans la moitié du monde arabe. Ceci est un message à l’attention de tous les dirigeants du monde arabe. Une révolution pacifique a lieu lorsqu’il n’y a pas de réforme. Si vous ne permettez pas de révolution pacifique, elle sera suivie par une révolution violente. Observez tous les pays arabes. C’est le message. […]
Je vous parlais des trois problèmes auxquels fait face le monde arabe, y compris l’Egypte. Le premier problème est [le manque] de savoir. A ma connaissance, de 25 à 30 % [de notre population] est toujours analphabète. Ceci n’est pas lié au revenu. Permettez-moi d’attirer votre attention là-dessus. J’étais à Cuba, et là-bas, ils ont un taux d’alphabétisation de 99,7 %.
Journaliste : Un taux similaire à celui des référendums arabes… (rires)
Mohamed ElBaradei : Exactement. 99 %. Mais il s’agit ici d’un sondage sur l’alphabétisation. Les capacités de Cuba étaient de loin inférieures aux nôtres. Il y a dix ans, j’ai visité une école primaire à Cuba. Chaque enfant était assis devant un ordinateur. Les gens vivaient avec un dollar ou deux par jour, mais on comprenait la signification de l’éducation.
Journaliste : Ainsi, vous dites que la clé est l’éducation ?
Mohamed ElBaradei : L’éducation est une composante fondamentale du savoir, pour créer une société fondée surle savoir, non sur la sorcellerie. Il y a une différence entre une société fondée sur la connaissance, et une société fondée sur la métaphysique et la sorcellerie. Sans éducation et savoir, nous ne pouvons progresser même d’un seul pas, et cela se vérifie dans le monde arabe. […]
Il n’y a pas une seule université arabe sur la liste des 100 ou 200 universités [en tête de classement]. Il y a une université saoudienne… Il n’y a pas un seul centre de recherche arabe qui étudie les problèmes et défis auxquels nous faisons face. Pas un ! Voyez notre discours aujourd’hui, en particulier dans le monde arabe : ces types sont islamiques, ceux-là sont laïcs, ceux-là sont libéraux… Personne ne comprend vraiment ce que signifient ces termes. Que signifie être islamique ? Aujourd’hui, la Turquie est un pays islamique. Son peuple est musulman, mais elle a une constitution laïque, qui n’a rien à voir avec la religion.
Puis vous avez l’Arabie saoudite, qui dit : Le Coran est la constitution. Ils n’ont pas de constitution écrite. Vous avez l’Iran, où ils ont le Pouvoir de la Jurisprudence. En Indonésie, ils ont un régime totalement différent. En 14 siècles, nous n’avons jamais rationnellement défini ou correctement compris la relation entre la religion et l’Etat, la religion et les valeurs morales, ou avec les affaires publiques et les affaires privées. Les gens se définissent comme islamiques ou laïcs et veulent s’entretuer. C’est la solution facile, même avant de comprendre ce que nous voulons.
Malheureusement, le résultat est [que notre situation] est une réplique exacte de l’Europe au 17e siècle. La guerre de Trente ans était une guerre de religion entre catholiques et protestants. Trente ans… Cette guerre a pris fin, et elle a été suivie par les guerres napoléoniennes, puis par la Première Guerre mondiale, et la Seconde Guerre mondiale… Pendant 300 ans, ils se sont entretués, et après avoir assassiné 50, 60 ou 70 millions de personnes, ils ont compris que s’entretuer n’était pas la solution. Dans la période connue comme l’Age d’or de l’islam, qui s’étend du 8e au 13e siècle environ, l’islam et la science marchaient main dans la main. Ils se complétaient. Pendant l’Age d’or de l’islam, la science était une composante centrale de la civilisation. […]
Vu l’état de l’islam aujourd’hui, tout dénommé « Mohammed », où qu’il vive, est immédiatement assimilé à un musulman qui prêche la violence. C’est l’amère réalité dans laquelle nous vivons. Tout ce que nous faisons est dire : non, ce n’est pas vrai ! L’islam est une religion de compassion. Très bien, mais que faisons-nous pour montrer au monde que c’est une religion de compassion ? Que faisons-nous pour montrer la différence entre nous et les extrémistes ?
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