« Hi, kifak*, ça va ? ». En quatre mots, cette formule entendue dans les rues de Beyrouth résume à elle seule le multiculturalisme libanais. Le Grand Journal a rencontré Nabih Chartouni, président de l’association des artistes et intellectuels d’ascendance libanaise « Al Fannán » pour parler de l’émigration libanaise en Amérique latine et de francophonie.
Terre d’immigration et d’émigration, le Liban est resté dans le cœur de tous les Libanais exilés comme la « mère patrie ». Fuyant le régime oppresseur des Turcs sous l’Empire ottoman à la fin du XIX siècle, les premiers Libanais à quitter le pays – en majorité chrétiens maronites – se sont réfugiés en Amérique latine, le principal et plus ancien foyer d’accueil des Libanais dans le monde. Quittant à nouveau le pays du Cèdre à partir des années 1960 et pendant la guerre civile (1975-1990), ils s’installent au Brésil, en Colombie, au Venezuela, en Argentine ainsi qu’au Mexique.
À la table de Nabih Chartouni, dans le restaurant du Centre libanais de Mexico où brillent des statues stylisées de Phéniciens, on parle espagnol, français et arabe. Arrivé au Mexique en 1970, cet ancien entrepreneur et patriarche de la diaspora libanaise au Mexique est aussi poète et professeur d’arabe. L’association « Al Fannán » qu’il préside, réunit artistes et intellectuels mexicains d’ascendance libanaise et collabore de temps en temps avec l’ambassade de France pendant la semaine de la francophonie en représentation du Liban: « Nous pensons que la culture française est une partie essentielle de notre programme culturel et nous sommes ouverts à une plus grande collaboration avec les institutions françaises ».
Arrivés majoritairement avant l’époque du protectorat français (1920-1943), qui instaura l’arabe et le français comme les deux langues du Liban, la plupart des Mexicains d’origine libanaise (on les estime à plus d’un million) ne parlent pas français. Ils sont aujourd’hui présents partout au Mexique et travaillent dans tous les secteurs de l’économie, de la politique et de la culture, jouissant souvent de hautes responsabilités. Le milliardaire mexicain d’ascendance libanaise Carlos Slim, homme le plus riche du monde en 2011 selon le magazine Forbes, en est l’emblème.
Devant un café à l’orientale, Nabih Chartouni nous confie que le français lui a facilité l’accès à l’espagnol au début et a participé à ouvrir les portes des milieux culturels au Mexique pour beaucoup de Libanais. Malgré cela, tout comme l’anglais supplante doucement le français dans le Liban d’aujourd’hui, le français n’est plus enseigné au Club libanais depuis trois ans faute de place et de professeur et en raison d’une demande déclinante.
La recette du succès ?
Quel est le secret de l’adaptation des Libanais dans le monde ? « Le charisme! » ironise à moitié quelqu’un à table. « Le Libanais est travailleur et respectueux. Tout comme le Français, il n’a aucun problème pour s’intégrer à l’étranger. Le Libanais adopte son nouveau pays au moment même où il y met les pieds. » L’exportation des principes humanistes inhérents à la culture libanaise a aussi, depuis l’époque des Romains, contribué à l’intégration des Phéniciens dans le monde car « La culture est universelle et le Liban est dans l’univers du savoir » selon Nabih Chartouni.
La statue de l’émigré libanais qui trône fièrement dans les jardins du Club libanais de Mexico et des autres villes du pays – la même partout dans le monde où les Libanais sont arrivés – est l’œuvre de l’artiste mexicain d’origine libanaise Ramiz Barquet. À Veracruz, la statue tourne le dos à l’Atlantique et regarde vers l’intérieur du pays. En costume traditionnel et pourtant bien décidé à construire son avenir sur sa nouvelle terre, l’homme de bronze regarde loin devant lui.
* « Comment vas-tu ? » en arabe syro-libanais.
Pour plus d’informations sur l’association « Al Fannán », visitez la page Facebook.
Valérie Guillamo – www.legrandjournal.com.mw
Photo: Valérie Guillamo
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