Un non-accord avec l’Iran pourtant historique

Por:
- - Visto 171 veces

Le CRIF a publié un recueil de textes en hommage au 70e anniversaire du CRIF, qui a été offert aux invités lors du 29e Dîner de l’institution. Ce recueil est composé de trente articles rédigés par des intellectuels, écrivains, journalistes, sociologues, philosophes… Nous reproduisons ci-après le 24e article de ce recueil : la tribune de Nathalie Szermann, Directrice des Affaires européennes au Middle East Media Research Institute (MEMRI).

Dans la nuit du 23 au 24 novembre était scellé l’« accord intérimaire de Genève » entre les E3 +3 (la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) et l’Iran. Pour les premiers, c’est une première étape significative vers la normalisation des relations avec le second. Côté iranien, c’est un pas vers la reconnaissance sur la scène internationale de ce pays comme une grande puissance, qui le fait entrer dans le club fermé des pays nucléarisés. L’enjeu était la reconnaissance du « droit de l’Iran à enrichir de l’uranium », avec tout ce que cette reconnaissance implique.

L’enjeu : le statut de puissance hégémonique


L’organe de presse iranien Press TV rapportait, suite à l’échec du premier round des pourparlers de Genève, que « la France a gâché l’accord sur le nucléaire pour de l’argent arabe ». Le commentaire est agrémenté d’une photo de François Hollande s’entretenant avec le roi d’Arabie saoudite, Abdullah bin Abdulaziz, à Riyad en novembre 2012.

Il est vrai que la France est apparue comme le trouble-fête de la réconciliation américano-iranienne négociée secrètement à Oman depuis huit mois. Et le fait est que Laurent Fabius a bel et bien empêché, dans un premier temps, la conclusion d’un « mauvais accord ». Tout se jouait dans la formulation du préambule : celui-ci ne pouvait interdire explicitement à l’Iran d’enrichir de l’uranium (sans quoi l’Iran ne scellait pas d’accord) ; il ne pouvait non plus autoriser explicitement l’enrichissement d’uranium (ce qui revenait à accorder à l’Iran le statut de pays du seuil et risquait de mener plus tard à un veto français). Tout se jouait donc dans la formulation : le Ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, voulait un préambule qui reconnaisse, même implicitement, le droit de l’Iran à enrichir de l’uranium. La France, qui faisait barrage, a finalement cédé dans le cadre d’un accord intérimaire de six mois, un « plan d’action conjoint » qui n’a pas valeur d’engagement et qui est réversible.

Le point de contention n’était donc pas le taux d’uranium enrichi et l’enjeu n’était pas l’éventuelle acquisition de l’arme atomique. L’enjeu était « la reconnaissance du droit de l’Iran » (pour utiliser l’expression iranienne consacrée) à enrichir de l’uranium. Cette reconnaissance fait en effet de l’Iran un pays du seuil nucléaire et lui autorise l’entrée dans le club très fermé des grandes puissances mondiales ayant accès à l’énergie nucléaire, avec l’accord de l’AIEA et dans le cadre des restrictions du TNP. Notons qu’un État qui a menti sur ses activités nucléaires ne devrait pas pourvoir, en vertu du TNP, accéder au statut de pays du seuil nucléaire.

Une telle reconnaissance confère en effet à l’Iran la dimension de grande puissance régionale et internationale. Or les ambitions iraniennes sont hégémoniques, comme le montrent très clairement ses ingérences dans toutes les régions du monde. C’est ce que curieusement, les E3+3 ont choisi d’occulter. Le deuxième élément qui a été dissimulé est la répression, en Iran, de toute forme d’opposition. Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, les deux leaders du Mouvement vert et seules véritables figures de l’opposition en Iran, sont assignés à domicile pour avoir mis en cause le résultat de l’élection qui a porté Ahmadinejad au pouvoir une seconde fois et pour avoir réclamé un nouveau suffrage. Il n’y a pas d’opposition légale en Iran, ce qui est une caractéristique des pays totalitaires. Ce problème non plus n’a pas été évoqué à Genève.

Les amitiés et les ingérences iraniennes

Si le gouvernement Obama entend concrétiser l’idéal d’une Amérique non impérialiste, le régime de Khamenei considère l’Iran d’un tout autre œil : alors que l’administration Obama souhaite ne pas s’ingérer comme le ferait un État colonialiste, l’Iran a des aspirations expansionnistes quasi illimitées. Ses activités et ambitions s’étendent dans tout le Moyen-Orient et, au-delà, jusqu’en Scandinavie, au Canada, ou encore en Amérique du Sud.

L’Iran finance des mouvements rebelles ou terroristes dans les pays du Moyen-Orient, qui minent de l’intérieur les gouvernements en place et ce faisant renforcent l’hégémonie iranienne. Dans les pays alliés des États-Unis, l’Iran appuie les mouvements rebelles ou l’opposition intérieure. Dans les pays ennemis de l’Amérique, le régime entretient de bonnes relations avec les gouvernements. C’est, en effet, leur rapport aux États-Unis qui inscrit les États considérés dans le lot des amis de l’Iran ou de ses ennemis. L’Amérique demeure, pour l’Iran, le « grand Satan » et le slogan « Mort à l’Amérique !» a été scandé dans les rues de Téhéran le 4 novembre, pendant les négociations de Genève.

En Syrie, l’Iran soutient le Hezbollah. Le 8 novembre 2013 (après donc que soit scellé l’« accord intérimaire de Genève »), l’organe du régime iranien, le journal Kayhan, appelait le Hezbollah à kidnapper des soldats israéliens. L’Iran soutient l’organisation insurrectionnelle des Houthis au Yémen, les chiites en Arabie saoudite (dans la région de Katif), les chiites en Irak, et considère Bahreïn comme l’une de ses provinces : ainsi, quand des discussions ont lieu avec les Émirats, abstraction a été faite de l’île Bahreïn, considérée comme iranienne. En Amérique du Sud, le régime de Téhéran entretenait un lien privilégié avec Chavez ; les relations sont amicales également avec le gouvernement de Bolivie, au niveau économique et politique : l’Iran a investi dans les infrastructures boliviennes et dans divers projets. En Europe du Nord, et jusqu’en Finlande, le régime finance des institutions et des mosquées chiites. En France, l’Iran est actif au niveau culturel, ayant notamment participé au financement du film de Dieudonné, L’Antisémite. Aux États-Unis, le régime est impliqué dans des activités terroristes (dont la tentative d’assassinat de l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis en octobre 2011). Il est impliqué dans le terrorisme en Thaïlande, en Inde et à des cellules terroristes en Afrique, au Nigeria. Ainsi, l’Iran défie le statu quo, finance le terrorisme, promeut l’antisémitisme et viole les Droits de l’homme sur son sol.

Une nouvelle conception du rôle des États-Unis dans le monde

Il convient de noter que c’est avant l’élection de Rohani à la présidence de l’Iran (en juin 2013) qu’a débuté l’assouplissement de la politique américaine à l’égard de l’Iran. Des pourparlers ont été tenus dans le Sultanat d’Oman depuis mars 2013, à l’insu des Européens, alors qu’Ahmadinejad était encore Président, ce que révèle l’Associated Press. Plusieurs explications ont été avancées quant au changement de politique américaine. Certains évoquent la lassitude des États-Unis face au Moyen-Orient, à ses guerres et conflits, à ce bourbier dont l’intérêt des Américains serait de sortir ; d’autres évoquent l’optique asiatique d’Obama, qui souhaiterait se tourner davantage vers la Chine notamment, mais qui devrait pour cela clore le dossier le plus épineux de la région, celui du nucléaire iranien.

Outre ces deux aspects, notons que Barack Obama entame la deuxième partie de son dernier mandat ; l’heure est venue, pour lui, de réaliser ses aspirations profondes et de donner corps à sa vision de l’Amérique telle qu’il la conçoit, une Amérique non impérialiste.

Si l’on considère les choix d’Obama de ces dernières années, il semble en effet que nous n’ayons pas simplement affaire à une volonté de changer l’ordre des priorités politiques et économiques, mais à une identification profonde à un ordre mondial différent. Ses discours au Caire, ou devant des étudiants en Israël (il a refusé de s’adresser à la Knesset) montrent qu’Obama se place du côté des peuples et de leurs représentants les plus populaires, voire révolutionnaires, ennemis de l’ordre colonialiste. Sa vision de l’Amérique n’est pas celle du gendarme du monde, ni d’une Amérique dominatrice qui impose sa vision aux autres nations. C’est celle d’une Amérique qui soutient les peuples, quitte à court-circuiter les gouvernements en place. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre huit mois de négociations entre le gouvernement Obama et le régime de la Révolution islamique d’Iran.

L’Accord de Genève : un accord selon qui ?

Les fondements du régime de la Révolution islamique se basent sur la sharia, et notamment sur le concept de taqqyia, qui justifie le mensonge en politique pour des raisons pragmatiques et tactiques, quand des objectifs d’intérêt supérieur doivent être atteints. C’est ainsi que le régime iranien a créé la rumeur (lancée par Rohani en personne) d’une fatwa iranienne interdisant la nucléarisation à des fins militaires. Toutefois, un site du Guide suprême Ali Khamenei répertorie toutes les fatwas du régime – donc toutes les déclarations reconnues comme étant des fatwas par l’Iran – et aucune fatwa de ce type n’y figure. Les officiels iraniens alimentent l’ambiguïté, dont ils font une arme en leur faveur. Après cette fatwa qui n’en est pas une, voici l’accord de Genève, qui n’en est pas un non plus. Ainsi, si le gouvernement Obama a souhaité présenter l’arrangement de Genève comme un accord (agreement), les porte-parole iraniens préfèrent pour leur part l’expression « plan d’action commun » basé sur la bonne volonté des parties. Ce qui est généralement appelé « accord intérimaire » en France, « accord de Genève » par l’administration Obama, semble n’être, pour le régime iranien, qu’une étape tactique pour faire accepter l’idée d’un Iran pays du seuil nucléaire. En cela, le régime de Téhéran a remporté une victoire : en effet, le pays est désormais bel et bien considéré, du moins dans les médias et auprès de l’opinion, comme un État du seuil, sans pour autant avoir engagé la moindre mesure concrète sur le terrain. Mohammed Zarif a même pris soin de préciser qu’il n’y avait pas de normalisation avec le régime américain, en dehors du cadre de ce plan commun. « L’Occident doit mériter la confiance du peuple iranien », a déclaré Javad Zarif en persan à l’issue des négociations.

Pourquoi est-ce un accord historique ?

Cet accord qui n’en est pas vraiment un est toutefois historique pour plusieurs raisons : l’Iran obtient de facto le statut de pays de seuil ; les États-Unis se placent, pour la première fois, du côté des forces moyen-orientales qui défient le statu quo pro-occidental – et contre ces pays qui, pendant des années, ont préservé les intérêts occidentaux, apportant une base à leur présence : l’Arabie saoudite et Israël. Cette situation va modifier l’équilibre de la région : cela peut se faire pacifiquement, si les États sunnites, notamment l’Arabie saoudite et les émirats, se plient face à un Iran hégémonique et acceptent sa supériorité ; cela peut se faire par la nucléarisation, si les parties délaissées décident d’assurer leur sécurité par leurs propres moyens, donc en se nucléarisant – cette menace a été formulée en Égypte et en Arabie saoudite avant même les négociations de Genève.

Turki bin Faisal al-Saud a évoqué la possibilité d’accéder à la bombe, et les Égyptiens, un projet de nucléarisation. Dans le même temps, en Iran, rien ne montre que le régime entend renoncer à l’arme atomique : Fars, l’agence de presse iranienne affiliée au Corps des Gardiens de la Révolution, rapporte, le 6 décembre, qu’Ahmad Khatami, éminent ayatollah de l’Assemblée des experts et proche de Khamenei, a déclaré qu’Obama s’était montré « grossier » en essayant d’empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire.

Au lieu d’être un pas vers la paix, cet accord intérimaire pourrait devenir une étape vers la nucléarisation de la région et des conflits intensifiés. Si le fossé entre chiites et sunnites se creuse (dans ce contexte menaçant pour ces derniers), les conséquences pourraient s’étendre sur des années. En outre, Israël, amputé de son allié américain, pourrait se trouver contraint de déclarer détenir l’arme atomique, officialisation qui n’a jamais eu lieu et qui correspondrait à opter pour une position plus menaçante.

Quelle alternative à l’accord de Genève ?

Le secrétaire d’État américain John Kerry a déclaré que l’objectif des sanctions était d’amener l’Iran à la table des négociations, non de le briser. Les sanctions étaient en effet efficaces. Elles ont conduit Rafsandjani, Président du Conseil du discernement, à demander au Guide suprême de boire la « coupe empoisonnée », c’est-à-dire à accepter de discuter avec les États-Unis. Certes, le peuple d’Iran souffre des sanctions, et le gouvernement Obama ne souhaite pas faire payer le peuple. C’est toutefois le régime iranien le premier menacé par un éventuel soulèvement populaire et il n’aurait tenu qu’à lui d’assouplir sa position internationale pour obtenir un allègement des sanctions.

Le gouvernement américain a choisi de ne pas en arriver à cette situation extrême en déclarant que son objectif avait été atteint, puisque les Iraniens ont consenti à s’asseoir à la table des négociations. Il reste à espérer que cet adoucissement américain n’ouvrira pas la voie à un endurcissement dans la région.

Acerca de Central de Noticias Diario Judío

Noticias, Reportajes, Cobertura de Eventos por nuestro staff editorial, así como artículos recibidos por la redacción para ser republicados en este medio.

Deja tu Comentario

A fin de garantizar un intercambio de opiniones respetuoso e interesante, DiarioJudio.com se reserva el derecho a eliminar todos aquellos comentarios que puedan ser considerados difamatorios, vejatorios, insultantes, injuriantes o contrarios a las leyes a estas condiciones. Los comentarios no reflejan la opinión de DiarioJudio.com, sino la de los internautas, y son ellos los únicos responsables de las opiniones vertidas. No se admitirán comentarios con contenido racista, sexista, homófobo, discriminatorio por identidad de género o que insulten a las personas por su nacionalidad, sexo, religión, edad o cualquier tipo de discapacidad física o mental.


El tamaño máximo de subida de archivos: 300 MB. Puedes subir: imagen, audio, vídeo, documento, hoja de cálculo, interactivo, texto, archivo, código, otra. Los enlaces a YouTube, Facebook, Twitter y otros servicios insertados en el texto del comentario se incrustarán automáticamente. Suelta el archivo aquí

Artículos Relacionados: