Discours Du Haham Daniel Farhi – Hommage Au Professeur Haïm-Vidal Sephiha

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M’interrogeant sur les raisons qui ont poussé le Centre Communautaire à m’associer à l’hommage rendu à notre ami le professeur Haïm-Vidal Sephiha, j’ai pensé que je le devais essentiellement au fait d’être – comme lui – d’origine judéo-espagnole.

Cela étant, je me sens par ailleurs de nombreuses affinités avec ce géant modeste que nous fêtons aujourd’hui.

Je connais Haïm depuis de très nombreuses années. C’est la regrettée Jacqueline Toussié qui m’a permis de le connaître à l’occasion du mariage de sa fille Françoise. Lors de la réception au Châlet des Îles du Bois de Boulogne, j’étais assis à côté d’un monsieur en chemisette, ce qui me permit de voir que j’avais affaire à un déporté. Puis on nous présenta et, d’emblée, je me sentis en sympathie avec cet homme au visage respirant la vie (comme son double prénom), l’intelligence, l’humour. Et, de ce jour, cette première impression ne s’est jamais démentie. S’y  sont ajoutés une immense admiration pour l’oeuvre de Haïm au service du judéo-espagnol et un profond respect pour le Maître qui a formé tant et tant d’étudiants dont certains se souviennent de ce qu’ils lui doivent, tandis que d’autres sont frappés d’amnésie. J’y reviendrai.


Dans les années 1970, Haïm avait écrit un livre au titre déprimant: “l’agonie des Judéo-Espagnols”. M’est-il permis de dire que son travail inlassable, son obstination sans limite à imposer l’enseignement de muestra lingua  à un niveau universitaire, son désintéressement  et son indifférence aux honneurs ont rendu le titre de cet ouvrage obsolète? En effet, Haïm a tiré de l’agonie une langue qui lui était promise, une langue que les nazis avaient presque réussi à assassiner à Auschwitz en même temps que ceux qui la parlaient.

D’autres ont écrit ou dit mieux que je ne saurais le faire tout ce que notre génération doit au professeur Sephiha pour avoir sauvé de l’anéantissement total le judéo-espagnol dont, grâce à lui, on assiste aujourd’hui au frémissement de la résurrection. Personnellement, au titre de militant de la mémoire, je veux lui dire combien, en travaillant ainsi jusqu’aux limites de ses forces, il a également fait revivre tous ceux – y compris les membres de sa propre famille – qui ont été exterminés dans l’enfer des lieux de mort imaginés par nos bourreaux.

Et cette plaque en judéo-espagnol dûe à l’acharnement de notre ami Michel Azaria, apposée à Aushwitz en 2004 aux côtés de celles écrites dans toutes les langues des victimesde la Shoah, témoigne, entre autres, du travail de Haïm.

Mais, je veux revenir à tous ceux qui ont pu bénéficier de l’enseignement de notre bon maître. Il y a eu les participants à ses fameux ateliers de judéo-espagnol – hébergés depuis de nombreuses années au Centre Communautaire (que Raphy Marciano, son dévoué directeur, en soit ici remercie) – et ses étudiants universitaires dont il a accompagné, guidé, inspiré les thèses. Les premiers, dont beaucoup sont hélas morts, étaient ou sont des personnes de l’âge de Haïm pour lesquels la possibilité de partager des souvenirs, des proverbes, des recettes de cuisine, des blagues, dans leur langue maternelle va bien au-delà de l’exercice intellectuel et culturel. C’est la possibilité d’entretenir leur vieille, mais fidèle, mémoire, de faire revivre les bribes d’un passé révolu. C’est leur “madeleine” au sens proustien du terme, sauf que la madeleine s’appelle “refranos”, “boyos”, “canticas” et autres douceurs de l’enfance. Je veux ici rappeler la mémoire émue d’une des plus anciennes fidèles de Haïm, disparue à 104 ans , Mme Bella Perahia née Benjamin  , qui était membre depuis sa création en 1977 de notre communauté du MJLF.

Les autres élèves du professeur Haïm-Vidal Sephiha ont été ses étudiants d’université. La plupart se rappellent avec émotion et gratitude de tout ce qu’ils lui doivent. D’autres, hélas, ont la mémoire courte et leur ingratitude scandalise notre ami Haïm. Et quand je dis “scandalise”, beaucoup ici savent les colères dont il est capable! En fait, Haïm ne supporte ni la déloyauté, ni l’hypocrysie, ni le mensonge, ni l’injustice ni l’ingratitude. Il faut avouer que, dans notre société, tout cela est monnaie courante, et l’on s’étonne … qu’il s’en étonne, encore davantage que ça lui inspire encore à son âge vénérable de saintes colères.

Cher Haïm, retiens la phrase récente d’Antoine Bernheim (qui sait de quoi il parle): “La reconnaissance est une maladie du chien non transmissible à l’homme”. À partir de là, et pour les nombreuses années qu’il te reste à vivre, j’espère que tu contiendras un peu ton adrénaline et malmèneras moins ta vésicule biliaire s’il t’en reste une.

Plus sérieusement – et je concluerai par là – tu es un adepte de nos Pirké-Avoth, traité bien connu de la Mishna, où nous pouvons lire (6:6):

“Toute personne qui dit une chose au nom de celui qui l’a dite amène au monde la rédemption, ainsi qu’il est écrit (Esther 2): Esther répéta les choses au roi au nom de Mardochée”. Peut-être, effectivement, adviendra-t-il un jour que l’honnêteté intellectuelle, la gratitude, la loyauté seront la règle du genre humain? Mais alors, qu’en sera-t-il des “coups de gueule” de notre ami et maître Haïm-Vidal Sephiha?

Reconnais au moins qu’aujourd’hui toutes les personnes réunies autour de toi te disent: “Merci Haïm, merci pour ces décennies passées au service de l’amitié et de la recherche intellectuelle, pour cet échec que toi, le déporté d’Auschwitz, a su infliger à cet Amalek des temps modernes”. Et, parce que je serais ingrat vis-à-vis de toi, je veux rappeler ici que c’est toi qui a traduit en judéo-espagnol mon texte “Au dernier survivant”. Si tu devais être celui-là, je serais encore plus fier de l’avoir écrit. Merci Haïm.

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