Par : N. Mozes *
Depuis plus de deux ans, le régime du président syrien Bachar al-Assad pratique une politique de siège et de famine dans les régions où il s’est heurté à une résistance acharnée des forces d’opposition armées. Mais la principale victime de cette politique reste la population civile désarmée. Si elle affaiblit les forces de l’opposition, cette stratégie vise également à épuiser le soutien civil dont elles bénéficient, afin de les inciter à signer des accords de cessez-le-feu locaux.
Le régime qualifie ces accords, qui témoignent de facto d’une capitulation des forces de l’opposition, de « réconciliations nationales » ou de « réconciliations locales ». Assad a lui-même déclaré en décembre 2015 que des réconciliations sont possibles lorsque les membres de l’opposition armée « rendent les armes et reprennent une vie normale, et que le gouvernement leur pardonne ».
Un exemple de cette stratégie fut le cessez-le feu de janvier 2014 entre forces du régime et de l’opposition dans une grande partie de la vieille ville de Homs lourdement assiégée par le régime. Selon des informations venant de l’opposition, le régime bafoue régulièrement ces accords. Il bombarde et assiège des zones dans lesquelles il avait accepté de maintenir un cessez-le feu lorsqu’il le juge nécessaire et utile à sa progression sur le terrain.
En plus de lui apporter une victoire sur les forces d’opposition, ce qui lui permet de mobiliser ses forces sur d’autres fronts, ces « réconciliations » permettent également au régime d’asseoir sa position, selon laquelle il combat des éléments armés et n’est nullement confronté à un soulèvement populaire, motivé par des exigences politiques nationales. Ainsi, il évite les négociations avec l’opposition politique, lesquelles pourraient nuire à son statut et même conduire à sa destitution.
Ces derniers mois, des représentants de l’ONU en Syrie ont participé aux pourparlers de cessez-le feu entre le régime, d’une part, et les représentants de la population locale et les forces de l’opposition de l’autre, dans plusieurs régions où se livraient de violents combats – notamment dans la ville d’Al-Zabadani du gouvernorat de Rif Dimashq au nord-ouest du pays, où les forces du régime et du Hezbollah ont combattu Ahrar Al-Sham et Jabhat Al-Nosra, ou dans le quartier Al-Waer de la vieille ville de Homs, également lieu de combats contre Ahrar Al-Sham, Jabhat Al-Nosra et des dizaines d’autres factions de l’opposition. En vertu de ces accords, le régime devait lever le siège et, en contrepartie, les combattants armés devaient soit quitter la région pour rejoindre le gouvernorat d’Idlib, sous contrôle de l’opposition, soit rendre les armes. Dans les deux cas, des représentants de l’ONU ont participé aux discussions qui ont mené à la signature des accords.
Dans la ville de Qudsaya à Rif Dimashq, un accord similaire entre le régime et l’opposition, principalement constituée de l’Armée syrienne libre, a été signé. Selon cet accord, les combattants armés et les civils qui le souhaitaient pouvaient gagner Idlib, en échange de la levée du siège du régime, en vigueur depuis cinq mois. Si les représentants de l’ONU n’étaient pas présents lors des négociations, ils ont supervisé le départ des forces de l’opposition.
Le nouvel élément dans les accords conclus à Al-Zabadani, Al-Waer et Qudsaya est la présence de représentants de l’ONU dans les phases de négociations et de mise en œuvre. Selon ces représentants, les accords préconisent le transfert d’une aide humanitaire aux populations locales, après des mois de privation, en raison du siège du régime et de ses alliés, ou encore d’éléments de l’opposition.
En outre, les représentants des Nations unies, dirigés par l’envoyé spécial de la Syrie à l’ONU Steffan de Mistura, ont salué ces accords qu’ils perçoivent comme une source d’espoir et un modèle à suivre pour aboutir à un cessez-le-feu global à travers la Syrie, comme indiqué dans la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU. Ils occultaient le fait qu’ils ont été signés après des mois de lourd siège et de famine infligés à la population locale. L’implication et le comportement de l’ONU dans ces accords – notamment dans le cadre de l’intensification des efforts internationaux pour résoudre la crise en Syrie et appliquer la résolution 2254 – peuvent être perçus par le régime syrien comme un consentement implicite à la stratégie de siège et de famine qu’il utilise pour vaincre l’opposition, et comme une reconnaissance de ces « réconciliations nationales » comme un moyen de restaurer le calme.
En effet, l’on a pu observer les premiers signes de ce consentement onusien dans l’initiative « Alep d’abord », présentée par Steffan de Mistura devant le Conseil de sécurité en octobre 2014. Cette initiative prévoyait de geler les combats dans les zones définies et à y transférer de l’aide humanitaire. Le premier objectif était de remédier aux conditions humanitaires désastreuses et de permettre aux deux parties de pointer leurs armes contre l’État islamique (EI), décrit par De Mistura comme l’ennemi à la fois du régime et de l’opposition. L’objectif à long terme était de bâtir progressivement une confiance entre les parties, jusqu’à aboutir à des négociations politiques. La ville d’Alep a été choisie comme la première zone où ces mesures devaient être appliquées, à la fois en raison de sa situation humanitaire désastreuse et de la progression de l’EI. Lors des pourparlers, De Mistura a accepté bon nombre des conditions préalables du régime, comme limiter l’initiative aux zones où il avait rencontré une résistance à grande échelle, ou mettre fin à ses frappes aériennes, mais poursuivre ses opérations au sol. Si l’initiative n’a finalement pas été appliquée en raison d’exigences supplémentaires du régime et des objections de l’opposition, elle a traduit un changement dans l’approche de l’ONU de la crise, à savoir privilégier la lutte contre l’EI et rejeter la demande de l’opposition d’être autorisée à combattre à la fois l’EI et le régime d’Assad. Les grandes lignes de Staffan de Mistura pour résoudre la crise en Syrie ressemblaient désormais à celles du régime : des cessez-le-feu locaux imposés aux forces sur le terrain.
Le président Obama a récemment exprimé son soutien à cette façon de procéder, omettant toutefois de mentionner ses circonstances ou ses implications réelles. Lors d’une conférence de presse tenue lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris, en décembre 2015, il a affirmé : « Il pourrait arriver que si le processus politique que John Kerry a si minutieusement tissé – de concert avec le ministre des Affaires étrangères russe Lavrov – fonctionne à Vienne, alors il serait possible, compte tenu de l’accord existant auquel les parties ont déjà concédé, que nous commencions à voir au moins des ‘poches de cessez-le feu’ se créer à l’intérieur et autour de la Syrie. Cela pourrait signifier que certains groupes de l’opposition ne subiront plus les bombardements syriens ou russes ; la conversation portera alors sur la politique. Et lentement, nous pourrons attirer l’attention de tous vers la priorité, qui est de poursuivre l’EI de manière systématique. »
Le régime d’Assad considère l’implication des Nations unies dans ces accords, qui correspondent au modèle qu’il défend, comme légitimant sa voie pour résoudre la crise en Syrie. Toutefois, certains éléments de l’opposition critiquent vigoureusement la participation des Nations unies, affirmant qu’elles sont désormais complices du siège, de la famine et des crimes commis par Assad contre la population syrienne.
* N. Mozes est chargée de recherche à MEMRI
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