Vous craignez donc de nouveaux départs de France ?
Ils ont même toutes les chances d’augmenter l’an prochain. Et si on parle d’aliya vers Israël, il ne faut pas oublier les centaines, voire les milliers de juifs français qui, poussés notamment par le vent mauvais qui souffle en France, se sont installés cette année au Canada, aux Etats-Unis ou en Australie. Je tire la sonnette d’alarme : les juifs ont toujours été les sentinelles de la démocratie. S’ils commencent à partir, c’est que la France est malade.
En 2014, 7 000 Français ont émigré en Israël. Comment réagissez-vous à ce chiffre record ?
ROGER CUKIERMAN. Avec peine et colère.
Ce pic de départs est un phénomène triste et très inquiétant. Mais je ne suis pas surpris parce que 2014 a été une année catastrophique pour les juifs enFrance, comme en témoigne l’augmentation des actes antisémites. Nous nous sentons persécutés.
Par qui ?
La quasi-totalité des actes antisémites sont commis par des jeunes issus de l’immigration, et pour l’essentiel par des musulmans. Tous les jours, nous avons vent d’agressions, auxquelles s’ajoutent des tragédies écoeurantes. Lemeurtre d’Ilan Halimi, les tueries de Merah ou Nemmouche contribuent à ce que les juifs de France se disent : je ne me sens pas bien en France, donc je pars. Ils n’y sont plus heureux en tout cas.
Lors de vos premiers mandats à la tête du Crif, de 2001 à 2007, vous dénonciez déjà la progression d’un climat antisémite. Qu’est-ce qui a changé ?
A l’époque, il s’agissait de petits actes. Depuis quelques années, un palier a été franchi dans la gravité, voire l’horreur. L’affaire de Créteil début décembre (NDLR : un couple a été séquestré, battu, volé, et la femme violée) est symptomatique. Ils ont été agressés parce que les juifs, ça a de l’argent. Les manifestations pro-Gaza en juillet dernier ont également fait beaucoup de mal. Dans les cortèges, on n’entendait pas Mort à Israël, mais Mort aux juifs. Le moteur de la mobilisation n’était pas le soutien à la cause palestinienne, mais l’antisémitisme.
Vous craignez donc de nouveaux départs de France ?
Ils ont même toutes les chances d’augmenter l’an prochain. Et si on parle d’aliya vers Israël, il ne faut pas oublier les centaines, voire les milliers de juifs français qui, poussés notamment par le vent mauvais qui souffle en France, se sont installés cette année au Canada, aux Etats-Unis ou en Australie. Je tire la sonnette d’alarme : les juifs ont toujours été les sentinelles de la démocratie. S’ils commencent à partir, c’est que la France est malade.
La crise économique en France explique-t-elle aussi ces départs ?
Elle y contribue sans doute, car l’économie israélienne tourne plutôt bien, ce qui peut tenter des jeunes diplômés. La crise morale et politique que vit la France joue sans doute aussi. En Israël, l’identité nationale est forte au contraire. Elle fait sens pour beaucoup de juifs attachés à cet Etat. Mais encore une fois, ce ne sont pas les raisons principales.
Le repli communautaire est-il une réalité pour les juifs de France ?
C’est vrai, mais cette communautarisation n’est que le résultat de ce climat insupportable. Certains préfèrent se regrouper dans certains quartiers de Paris, par exemple. Avant, tous les enfants juifs allaient dans des établissements publics. Aujourd’hui, seulement un tiers, et dans certains départements, comme la Seine-Saint-Denis, quasiment plus. Un autre tiers s’inscrit dans des écoles confessionnelles juives, et un dernier tiers dans le privé catholique. Nous nous sentons désormais comme des parias, malgré le soutien sans faille des autorités. Il n’est quand même pas normal de mettre des policiers devant des synagogues et de devoir protéger les écoles juives !
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