L’antisémitisme comme ennemi politique

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Cet article reprend pour l’essentiel une contribution parue dans le hors série de la revue “Les études du CRIF”, publié à l’occasion des 70 ans de la revue, en janvier 2014 (p.69-71)

L’antisémitisme ne vise pas que les Juifs comme Juifs. Ils les visent comme autres. C’est bien pourquoi à l’antijudaïsme religieux s’est ajouté à l’antisémitisme national. À travers lui, c’est tout écart à la communauté qui se voit condamné au nom d’un projet fusionnel dont l’accomplissement menacerait la distance critique indispensable à l’exercice de la démocratie elle-même.

Je voudrais attirer l’attention du lecteur sur ce qui me semble constituer une évolution insidieuse dans la perception de l’antisémitisme. De plus en plus souvent, la dénonciation de l’antisémitisme paraît susciter en retour un type de réactions donnant à penser que le combat contre cette menace ne serait que l’affaire de ceux qu’elle désigne, c’est-à-dire des Juifs. On devine aussitôt le danger que représenteraient la propagation et l’installation d’une telle perception. Je veux ici souligner un point particulier par lequel on peut illustrer l’impérieuse nécessité qu’il y a à combattre l’antisémitisme en tant qu’il menace aussi celles et ceux qui, comme moi, ne sont pas juifs. Le point est le suivant : l’antisémitisme porte la négation d’une façon d’être dans la Cité que je vais nommer ici l’écart à la communauté. Par cette idée, je désigne une forme d’appartenance nationale incluant une distance avec la communauté. C’est cette distance qui conditionne la capacité à repérer le possible pervertissement du pouvoir et à s’y opposer.


L’antisémitisme est d’abord une négation de l’écart à la communauté fondé sur les différences entre les membres qui la composent. À la fin du XIXème siècle, Léo Pinsker partait de l’ancienneté de l’antisémitisme pour pointer la manière dont il est sans cesse relancé comme détestation de l’Autre : l’autochtone déteste le juif qu’il regarde comme un allogène, le nationaliste le déteste comme apatride, le sédentaire comme nomade, le riche comme pauvre, le pauvre comme riche et jusqu’au vivant qui voit en lui un revenant, Pinsker croyant alors saisir un trait psychique de l’humanité, la démonophobie, dont le peuple juif serait devenu l’objet idéal parce que, malgré toutes les souffrances et les disparitions, “il n’a jamais cessé de vivre en nation” [1].

L’antisémitisme est aussi une négation de l’écart à la communauté en tant qu’il est fondé, cette fois, sur une forme de retenue dans l’appartenance. Une réflexion de Jean-Jacques Rousseau nous aide à le comprendre, en désignant le “spectacle étonnant” que constitue le fait de voir “un peuple épars, dispersé sur la terre, asservi, persécuté, méprisé de toutes les nations, conserver pourtant ses coutumes, ses lois, ses mœurs, son amour patriotique et sa première union sociale quand tous les liens en paraissent rompus.” [2]. Ici, Rousseau dessine la figure d’un individu qui ne se confondra jamais entièrement avec la Cité dont il est pourtant un membre loyal. C’est aussi cet écart à la communauté, ce refus de céder à l’injonction d’appartenance exclusive à la nation, que vise l’antisémitisme. Or, si cet écart peut être, pour le juif, la condition de sa condition, il est aussi certainement pour nous tous l’une des formes du refus de l’appartenance exclusive exigée par l’idéologie nationaliste au nom d’un communautarisme potentiellement fusionnel où l’individu n’est en vérité pas autre chose que la partie d’un tout. Cet holisme radical promet à tous, comme un avenir radieux, de mettre fin à la question du “qui suis-je ?”, tandis qu’il s’accomplit presque fatalement dans l’anéantissement de chacun de nous comme être singulier.

La grande culpabilité de l’État-nation

De là vient l’intense agressivité de l’idée nationaliste et de l’étatisme à l’égard de la condition juive, jusqu’à la production d’un antisémitisme d’État. C’est le nationalisme associé à la puissance de l’État qui vont donner à l’antisémitisme la forme et la force d’une autorisation ; c’est l’entremêlement de ces deux radicalismes qui rendra possible le déploiement de la haine des juifs en demande souveraine émanant de la puissance publique – tel est bien l’événement qui se joue dans la “Nuit de Cristal”, où l’on voit un État-nation organiser la persécution des membres juifs de la communauté nationale, sans que les autres nations décident pour autant de voler au secours des victimes ni même seulement d’ouvrir leurs frontières pour accueillir celles et ceux qui cherchaient à fuir la fureur nazie.

Nationalisme ou démocratie, il faut toujours choisir

Assurément, le nationalisme ne peut se prémunir contre une interprétation fanatique de l’appartenance à la nation ou de l’égalité entre ses membres. En ce sens, l’idée d’une “identité nationale” pèse lourdement sur l’idéal démocratique et le menace en mobilisant un fondement identitaire qui non seulement sous-tendrait le collectif, mais, plus encore, prétendrait lui donner tout son contenu et réunir chacun des membres, non pas en les associant, mais en les absorbant dans une identité collective qui n’admettrait plus d’autres composantes, refusant les identités singulières. En réalité, il est impossible de combiner, à proprement parler, l’idée d’une identité nationale et l’idée démocratique ; c’est l’une ou l’autre. La politique démocratique est née de l’ambition d’organiser une forme de vie collective qui ne demande pas aux individus et aux groupes qui décident de vivre ensemble de ne plus avoir de raisons de se séparer. La politique démocratique ne vise pas à faire disparaître les différences et les singularités, mais à fonder la communauté sur leur reconnaissance, leur existence et leur pérennité… Lire la suite.

Notes :

[1] Léon Pinsker, Autoémancipation ! : Avertissement d’un Juif russe à ses frères, 1882, post-face de Georges Benssoussan, traduction d’André Neher, Paris, 2006, Éditions des Mille et Une Nuits, pp. 14-16.

[2] Jean-Jacques Rousseau, Fragments politiques, cité par Bruno Karsenti en ouverture de son importante étude : Moïse et l’idée de peuple. La vérité historique selon Freud, Paris, Cerf, 2012, p. 9.

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