Aznavour, d’un Français d’origine turque à un Français d’origine arménienne

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La Lettre du rabbin Daniel Farhi

D’un Français d’origine turque à un Français d’origine arménienne.

C’est sans doute le dernier grand troubadour français de sa génération qui vient de nous quitter en la personne de Charles Aznavour. Avant lui, il y avait eu Jacques Brel, Georges Brassens, Léo Ferré, Barbara, Gilbert Bécaud et, plus récemment Guy Béart, pour ne parler que des disparus de cette génération qui ont enrichi le patrimoine français de leurs compositions et de leur poésie. Lors des obsèques de Guy Béart que j’ai eu l’honneur de conduire dans le petit cimetière de Garches, j’avais échangé quelques mots avec Charles Aznavour pour lui dire que beaucoup d’entre nous avaient été frustrés qu’il n’ait pas prononcé quelques mots dès lors que j’avais invité qui le voulait à s’exprimer. Il m’a répondu : vous savez, je ne suis pas très à l’aise en public ! J’ai souri intérieurement en pensant aux millions de spectateurs devant qui il s’est produit au cours d’une carrière de plus de 70 ans.


Charles Aznavour était, malgré sa célébrité, un homme qui n’avait jamais oublié ses humbles origines et qui était resté très simple, à l’écart des paparazzis, poursuivant tranquillement sa route et déroulant dans ses chansons les sentiments que lui inspiraient sa vie et celle des autres. Des thèmes d’une grande banalité qu’il parait de grâce, d’émotion, de douceur, de rage de vivre aussi. L’amour, l’amitié, l’espoir, la vie quotidienne déclinés sans cesse et pourtant sans nous lasser. Dans les films où il a joué, il était presque toujours un petit homme effacé, au regard de chien battu. Les rôles de petit Juif lui allaient à merveille au point qu’on pouvait s’interroger sur ses origines. Et pourtant, Aznavour était d’origine arménienne, ce qu’il ne manquait jamais de rappeler. Sans doute le plus français des Arméniens jusqu’à s’identifier à la France et à en incarner l’esprit dans le monde entier. Ambassadeur de la chanson française, il a sillonné la planète de part en part, y apportant les thèmes universels de sa création artistique. Bref, je pourrais vous parler longtemps de celui qui vient de nous quitter. Il a enchanté au moins trois générations. Petit, j’entendais Maman fredonner ses chansons en travaillant à sa machine à coudre (Singer bien entendu). Moi-même, j’en connaissais par cœur de nombreuses, et je ne doute pas que mes enfants et petits-enfants les aiment aussi. Elles sont éternelles et continueront de courir longtemps dans les rues, sur les ondes et peut-être au ciel où désormais Aznavour va pouvoir exercer ses talents et ravir le chœur céleste des anges.

Mais, c’est d’un autre aspect du chanteur que je voudrais parler. J’ai dit qu’il incarnait souvent des personnages juifs dans des films (Qu’est-ce qui fait courir David, Yiddish Connection, Mangeclous). Ce n’est sûrement pas un hasard. Comme les Juifs, il était issu d’un peuple qui a beaucoup souffert, qui a subi le premier génocide du 20ème siècle au cours duquel il a perdu 1.000.000 des siens massacrés par le pouvoir turc. Ce génocide, contrairement à la Shoah, n’a jamais été reconnu par ses auteurs. Et même à ce jour, il ne l’est pas encore par certains pays dont … Israël ! Charles Aznavour, qui fut le premier artiste à se produire en Israël en 1949, qui s’y est souvent rendu depuis, qui a intégré à son répertoire des chants comme a yiddish mamme,hava naguila, Yeroushalayim shel zahav, en était triste. Il y a encore à peine un an, lorsqu’il s’est rendu à Jérusalem, il a demandé aux dirigeants israéliens pourquoi leur pays n’avait jamais reconnu le génocide arménien. Je ne sais pas quelles réponses il a pu recevoir. Je crains que ces dernières, s’il y en a eu, n’aient contourné la motivation politique d’Israël de ne pas rompre des relations commerciales et diplomatiques avec la Turquie. La realpolitik est cruelle et amorale. Mme Angela Merkel, chancelière allemande actuellement en visite à Jérusalem, a reconnu à Yad Vashem la responsabilité ineffaçable de son pays dans la mise en œuvre de l’extermination des Juifs d’Europe. Ses prédécesseurs ont endossé depuis longtemps cette responsabilité et ont initié un travail de repentance et de réparations qui permet aujourd’hui des relations normalisées, et même privilégiées entre l’Allemagne et Israël. L’Eglise a fait de même vis-à-vis du judaïsme contemporain. Sera-t-il dit que, seul, Israël ne peut accomplir la reconnaissance d’un génocide dont il n’est nullement responsable, et cela pour des raisons inavouables ?

Enfant de parents juifs immigrés de Turquie dans les années 20 et 30 du siècle dernier, je ressens un sentiment de dégoût vis-à-vis de ce pays et de sa politique actuelle sous la férule d’un dictateur qui n’a rien à envier à certains de ceux qui l’ont précédé dans d’autres pays et en d’autres temps. Pourtant, mes parents aimaient profondément ce pays et évoquaient souvent l’accueil bienveillant (même si pas totalement désintéressé) dont avaient bénéficié nos ancêtres après leur expulsion d’Espagne en 1492. Ils y retournaient souvent se ressourcer et retrouver la ville de leur jeunesse, Izmir, ses senteurs, les lieux qu’ils avaient habités, sa cuisine, sa musique ; comme le faisait Aznavour en Arménie. Habitant aujourd’hui une banlieue avec une importante communauté arménienne, je me sens à l’unisson de ces hommes et femmes travailleurs, discrets, aux belles cérémonies religieuses, aux églises enluminées et très fréquentées. S’il m’arrive de révéler mes origines turques, je prends bien soin d’ajouter qu’étant juif, je n’ai rien à voir avec le génocide des Arméniens ! Il existe dans ma ville une amitié judéo-arménienne et j’en suis fier et heureux. Il existe aussi des épiceries arméniennes dont les produits et les odeurs me rappellent le temps de mes jeunes années, mais ceci est un autre sujet…

Pendant la guerre, la famille de Charles Aznavour a hébergé de nombreux Juifs pourchassés par la police française et les nazis. En lui remettant la Médaille Raoul Wallenberg (diplomate suédois ayant permis à des milliers de Juifs hongrois de fuir leur pays envahi par l’Allemagne), le Président de l’Etat d’Israël, Reuven Rivlin, a dit à Charles Aznavour : « Vous et votre famille, cher Charles, avez sauvé beaucoup, beaucoup de monde pendant les jours très sombres de la seconde guerre mondiale dans la France occupée par les nazis ». Le chanteur a répondu : « Nous avons tant de choses en commun, les Juifs et les Arméniens, dans le malheur, dans le bonheur, dans le travail, dans la musique, dans les arts. J’ai un petit peu l’impression que je viens dans un coin de ma famille à moi parce que nous avons la même manière, aussi, de vivre et de manger et de boire ».Charles Aznavour avait annoncé qu’il souhaitait se produire une dernière fois à Tel-Aviv le 29 juin 2019, peu après son 95èmeanniversaire…

Shabbath shalom à tous et à chacun,

Daniel Farhi

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