L’entretien du crif – Frédéric Dabi (Ifop): Gabriel Attal, Les européennes, Israël-Hamas… L’état de l’opinion

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Spécialiste de l’opinion publique, Frédéric Dabi, Directeur général de l’institut Ifop, auteur de « La fracture. Comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession » (Éd. Les Arènes), répond à nos questions sur ce qu’il nomme « le phénomène » Gabriel Attal, la perspective des élections européennes de juin prochain, la question de l’antisémitisme en France et l’appréciation par une majorité de Français de l’objectif de guerre d’Israël visant à éliminer le mouvement terroriste Hamas.

Le Crif : Du point de vue de l’opinion publique, comment analysez-vous, après sa nomination à Matignon, « l’effet Gabriel Attal », durable ou non ?

Frédéric Dabi : Il est bien sûr impossible de prédire l’avenir. On connaît l’expression « l’enfer de Matignon », qui a la capacité de lessiver les chefs de gouvernement même si deux des trois anciens Premiers ministres d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Jean Castex, s’en sont bien sortis à l’issue de leur bail à l’Hôtel de Matignon.

Gabriel Attal constitue un véritable phénomène d’opinion. Je comparerai sa trajectoire, en mettant de côté la période 2014-2016 d’Emmanuel Macron, à la période Nicolas Sarkozy de 2002-2007 qui construisait régulièrement l’agenda médiatique et politique autour de lui et dont la popularité, à l’époque, était croissante.


Quand je testais la popularité de Gabriel Attal – nouveau porte-parole du Gouvernement – en juin 2020, deux tiers des Français ne le connaissaient pas. Décembre 2023 : il devient le premier des Ministres en termes de popularité, seul Édouard Philippe, étant alors légèrement plus populaire que lui.

 

Le Crif : Ce qui est étonnant, c’est la fulgurance de cette ascension politique, non ?

Frédéric Dabi : Oui, c’est fulgurant dans un contexte où il y a des médias omniprésents, un désintérêt, un éloignement même des Français vis-à-vis de la chose politique. Lui, il a marqué les esprits. Je l’explique par le fait qu’il a marqué et réussi au porte-parolat, aux Comptes publics et surtout à l’Éducation nationale – ministère pourtant présumé très difficile – où il a réussi à répondre à deux attentes très fortes des Français.

 

Indépendamment de sa jeunesse,

« les deux piliers » de la popularité Attal

 

Première attente : dire les choses, établir des constats clairs, ne pas être dans le déni ou la relativisation des problèmes. Quand le classement PISA (la mesure internationale du niveau éducatif des pays) sort, la France est mal placée : il dit « on est nul », il ne cache pas les difficultés, il fait un point presse, il est toujours en réaction aux événements ou aux problèmes sans tendance à la défausse. Il affronte même les sujets ou les reproches. C’est jusqu’à présent un vrai bon point pour lui. Est-ce que cela va se passer de la même manière dans sa fonction de Premier ministre ?

Deuxième élément : il agit. Alors que les politiques peuvent apparaître sous l’angle de l’impuissance, lui est arrivé en quelques mois rue de Grenelle à donner l’impression qu’il changeait les choses. L’interdiction de l’abaya, une forte prise en compte du harcèlement scolaire, les changements de calendrier du Bac, le Brevet, la question du redoublement, le choc des savoirs… Une série de choses devront être évaluées plus tard pour en dresser un bilan mais Gabriel Attal a semblé répondre à la promesse de l’action politique : changer la vie des Français.

Voilà les deux piliers de sa popularité qui ont plus compté que sa jeunesse. Le fait générationnel compte mais il n’est pas majeur dans l’explication du phénomène, loin de là.

 

Le Crif : Il y a chez lui cette capacité à se saisir sans détour de questions qui préoccupent les Français, et notamment de cette question centrale pour les principes de la République, la laïcité. Cette question, il l’a traitée beaucoup plus rapidement et fermement que son prédécesseur.

Frédéric Dabi : Sa force est aussi liée au fait qu’il est toujours apparu en logique de distinction par rapport à ses prédécesseurs. Distinction au porte-parolat par rapport à Sibeth Ndiaye, qui ne semblait pas faire l’affaire pendant la pré-période du Covid, distinction à l’Éducation par rapport à Pap Ndiaye, qui n’incarnait pas la fonction, qui ne disait pas les choses comme Gabriel Attal notamment en effet sur cette question essentielle de la laïcité. Après sa nomination, lors de son intervention au journal télévisé de TF1, son premier sujet est le harcèlement scolaire, le second est le respect de la laïcité à l’école et l’abaya. Son côté « parler vrai » et « je colle au terrain » l’a beaucoup porté.

La perspective de la bataille des élections européennes de juin

 

Le Crif : À propos des élections européennes de juin 2024, les sondages ont récemment mesuré une très nette avance de la liste Rassemblement national (RN) sur la liste Renaissance. Est-ce que la nomination de Gabriel Attal est de nature à pouvoir limiter ou même renverser cette tendance ascendante des mouvements nationalistes et le populisme d’extrême droite ?

Frédéric Dabi : Cette nomination et ses conséquences peuvent compter dans cette campagne. Quand on réécoute les vœux du 31 décembre d’Emmanuel Macron, celui-ci met en perspective la bataille d’idées des élections européennes, il vise les populismes, il porte la défense de ce qu’il appelle la souveraineté européenne. La nomination surprise de Gabriel Attal est à l’évidence une arme politique anti-Bardella. Dans un contexte où le chef de file Renaissance, Stéphane Séjourné, très bon élu du Parlement Européen demeure peu connu des Français, Gabriel Attal Premier ministre, devenant de fait chef de la majorité, apporte pour le camp présidentiel une incarnation aujourd’hui populaire.

Jusqu’à présent, le contexte politique de majorité relative et des réformes clivantes de 2023 a fragilisé la majorité. Or, l’élection de juin est cruciale : c’est le seul scrutin de dimension nationale (les listes sont nationales) du quinquennat. L’écart d’intentions de vote, mesuré par l’Ifop par exemple en décembre, est très important : notre enquête de décembre donnait 30 % à la liste RN contre 18 % à la liste Renaissance. S’il se confirmait, cela conforterait beaucoup, naturellement, Marine Le Pen voire Jordan Bardella dans la perspective de la présidentielle de 2027.

 

Le Crif : Sachant que décembre était une période où le sujet de l’immigration dominait le débat public, sachant aussi qu’une bonne partie de l’électorat est tenté par l’abstentionnisme et que la campagne active ne sera pas effective avant avril ou mai, les intentions de vote ne doivent-elles pas aussi être prises avec précaution aujourd’hui ?

Frédéric Dabi : Si, il faut bien sûr toujours rappeler que des intentions de vote mesurées ne sont pas des projections du résultat du scrutin du 9 juin. Quant à l’abstention c’est l’une des inconnues. Contrairement à ce qu’on peut penser, en 2019 on avait eu une bonne surprise, l’abstention avait reculé par rapport à l’élection précédente (elle était de 49 % en 2019 contre 57 % en 2014). Donc, de ce point de vue, les choses sont ouvertes.

Ce ne sera pas moins en juin prochain une échéance centrale dans ce quinquennat, elle mesurera aussi le degré d’adhésion ou d’opposition au camp présidentiel. Et on a du mal à imaginer un RN qui ne soit pas en tête, comme cela avait déjà été le cas d’ailleurs en 2014 et en 2019.

 

Le Crif : La tendance, peut-être plus française que celle de nos voisins, n’est-elle pas de « nationaliser » un scrutin qui est censé concerner les enjeux européens d’abord ?

Frédéric Dabi : Oui, ce scrutin est européen d’abord, en 2019 les motivations de vote liées à l’Europe avaient progressé nettement. Nous sommes également dans un momentum où l’euroscepticisme est bien moins fort que par le passé. En 2019, il y avait près de 40 % des Français qui était favorables au « Frexit » (sortie de l’Union européenne), ils ne sont plus que 10-15 % actuellement. On a vu l’Europe agir ensuite pendant le Covid d’abord, puis dans les circonstances de la guerre en Ukraine. On aura donc sans doute un vote plus motivé que par le passé par les considérations européennes. Mais compte tenu du fait qu’il s’agit du seul scrutin de dimension nationale durant ce quinquennat, la tentation sera naturellement grande pour chaque parti de se compter et d’en tirer des enseignements politiques nationaux.

Il est vrai qu’il ne faudra pas faire d’extrapolation hasardeuse. Il a été démontré que des élections européennes ont pu être suivies, pour certains politiques, de grosses déconvenues. Souvenons-nous du score de Philippe de Villiers de 11 % à des européennes et de ses 4 % à la présidentielle suivante, des bons scores aussi des listes écologistes aux européennes et de leur incapacité à convaincre lors de l’échéance présidentielle.

 

Le Crif : Le défouloir protestataire paraît d’autant plus facile que le scrutin est sans conséquence directe sur le pouvoir national…

Frédéric Dabi : C’est en effet l’une des caractéristiques qui singularise les élections européennes. Chaque scrutin a sa logique.

 

« L’objectif d’éliminer le Hamas reste légitimé par les Français »

Le Crif : À propos d’Israël et de son objectif de guerre contre le Hamas, on a vu dans les études d’opinion (dont celle que vous avez réalisée à l’Ifop pour le Crif) qu’une majorité de Français approuvait l’objectif d’éliminer le Hamas. Est-ce que cette approbation, malgré la durée de cette guerre, est toujours majoritaire ?

Frédéric Dabi : Il faut d’abord noter que les questions internationales, dans le passé, n’intéressaient pas beaucoup les Français, elles paraissaient lointaines. Cela est terminé. Les Français ont désormais très largement le sentiment que l’international peut avoir des impacts sur leur vie. L’étude de l’Ifop pour le Crif indiquait très clairement que les Français ont très vite perçu (à 82 %) que l’attaque terroriste du 7 octobre pouvait avoir des répercussions chez nous, deux tiers des personnes sondées imaginaient même qu’une attaque type Hamas pouvait avoir lieu en France, c’est donc un sujet qui concerne les Français.

Ce qui me frappe, depuis octobre, c’est aussi la stabilité et la constance de l’opinion publique française sur ce sujet. L’objectif d’éliminer le Hamas reste légitimé par les Français. Dans l’imaginaire collectif, le Hamas c’est Daech, ce qui s’est passé le 7 octobre, c’est un Bataclan à ciel ouvert. Il est à noter aussi que l’opinion publique française est très homogène sur ce sujet. Elle garde un soutien à Israël, elle déplore bien sûr les morts civils palestiniens, souhaite la prise en compte de l’action humanitaire mais elle maintient une distinction entre l’avenir des Palestiniens et le Hamas qui doit être annihilé.

Dans le même temps, on retrouve une tendance d’opinion sur le thème « c’est un conflit sans fin », rien n’a malheureusement changé depuis trente ans et les Accords de Washington entre Arafat et Rabin, avec aussi une tentation d’une partie de l’opinion publique de renvoyer dos-à-dos les deux belligérants.

 

Le Crif : Concernant l’antisémitisme, on a observé, notamment lors de la marche civique du 12 octobre, un large consensus (à l’exception notable de La France Insoumise) de la classe politique, sachant qu’il y a quand même dans l’opinion publique une forte minorité (autour de 20 %) qui adhère toujours aux pires clichés antisémites.

Frédéric Dabi : Dans les questions que posent régulièrement et depuis longtemps l’Ifop, sont testés les préjugés des Français sur les personnes de confession juive. Émergent en effet autour de 20-25 % de Français qui partagent ces préjugés, par exemple sur une prétendue domination des Juifs sur les lieux de pouvoir, la politique, les médias, l’économie…

Mais globalement je préfère voir le verre aux trois quarts plein. On n’est plus du tout dans la période du déni de l’antisémitisme contemporain, comme cela a pu être le cas au début des années 2000, la prise de conscience est devenue très forte dans l’opinion précisément que les Français juifs sont depuis quelques années plus en danger que les autres, et en particulier depuis le 7 octobre. La fameuse phrase de Manuel Valls, « l’antisémitisme n’est pas l’affaire des juifs mais l’affaire de la République » est soutenue par près de 80 % des Français. Il y a bien sûr toujours une indifférence possible mais cette indifférence a beaucoup reflué.

 

« Il apparaît que Jean-Luc Mélenchon s’est discrédité

aux yeux d’une très large majorité des Français »

Ce qui s’est passé le 7 octobre a même suscité un mouvement de sympathie et de solidarité fort à l’égard des citoyens de confession ou de culture juive, qui ont été mis en danger par la flambée inédite d’actes et de menaces antisémites. Le 7 octobre a réactivé le trauma du 13 novembre 2015 (le Bataclan), du 7 janvier et du 9 janvier (Charlie Hebdo et Hyper Cacher). Certes, des stéréotypes demeurent malheureusement mais les réseaux sociaux, qui déversent parfois des horreurs, ne sont heureusement pas représentatifs des Français.

Il est à relever, dans la partie de l’opinion où les stéréotypes sont présents, qu’ils sont plus répandus chez les jeunes, dans les catégories populaires et chez les sympathisants de la gauche extrême. Il apparaît clairement aussi dans nos études que Jean-Luc Mélenchon s’est discrédité sur ce sujet aux yeux d’une très large majorité des Français, et même d’une majorité des sympathisants de son mouvement politique, La France Insoumise (LFI). Quant à la question, est-ce que l’antisionisme est un antisémitisme, elle est très largement tranchée par les Français, qui en sont persuadés.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 10 janvier 2024

– Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs –

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