Après le virulent sermon d’un important cheikh jordanien contre les Etats du Golfe, la Jordanie essuie les plâtres

Por:
- - Visto 86 veces

Par H. Varulkar et Z. Harel *

Introduction

Dans son sermon du 20 janvier 2017 prononcé à la mosquée d’Amman, le président de la Cour suprême islamique de Jordanie et imam de la Cour royale hachémite, le cheikh Ahmed Hilayel, a fustigé l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe pour n’avoir pas fourni d’aide économique suffisante à la Jordanie, qui traverse une grave crise économique. La véhémence du sermon du cheikh Hilayel a déclenché un tollé en Jordanie et suscité la crainte de réactions de la part des pays du Golfe, tous considérés comme des alliés de la Jordanie, à qui lui fournissent une aide économique depuis de nombreuses années.


Les officiels jordaniens ont été décontenancés par les déclarations du cheikh Hilayel, et appréhendent les réactions coléreuses des Saoudiens et des autres pays du Golfe. Ils se sont empressés de se désolidariser de lui, soulignant qu’il ne s’exprimait qu’en son nom personnel.

Deux jours après ce sermon, le 22 janvier, le cheikh Hilayel a démissionné de ses fonctions de président de la Cour suprême islamique et d’imam de la Cour royale. Selon certaines sources, toutefois, il aurait en réalité été renvoyé. Notons que le 22 janvier également, le quotidien officiel jordanien Al-Rai a rapporté que le monarque saoudien Salman Bin Abd Al-Aziz devait rencontrer le roi Abdullah en Jordanie fin mars, pour discuter d’une coopération saoudo-jordanienne renforcée. Ces informations n’étant parues que dans le quotidien Al-Rai et nulle part ailleurs, il pourrait s’agir d’une tentative jordanienne pour montrer que les relations avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe sont normales.

Le cheikh Hilayel, président de la Cour suprême islamique et imam de la Cour royale : Le refus [des pays] du Golfe d’aider la Jordanie pourrait déclencher une seconde « Syrie »

Dans son sermon, le président de la Cour suprême islamique et imam de la Cour royale hachémite Ahmed Hilayel a attaqué les dirigeants des pays du Golfe, les implorant d’apporter une aide économique à la Jordanie, laquelle est selon lui « votre appui, votre soutien, votre pilier et votre colonne vertébrale ». S’adressant aux « dirigeants du Golfe, monarques du Golfe, sages hommes du Golfe… aux rois, aux cheikhs et aux princes du Golfe », il a affirmé que « la situation avait atteint un point critique. « Vos frères en Jordanie font face à une situation sombre, et l’étau se resserre sur eux de toutes parts ». Il a poursuivi : « J’ai averti une fois, deux fois, et je préviens régulièrement que la Jordanie ne doit pas être affaiblie, atteinte ou mise en danger… Où est votre soutien ? Où sont vos mains tendues en signe de bonne volonté ? Où est votre argent ? Où sont vos riches ? »

Estimant que le scénario syrien pouvait se reproduire en Jordanie, il a déclaré : « Si les souffrances de la Jordanie s’aggravent, et que l’impensable se produit, cela ne s’arrêtera pas à la Jordanie. Tout le monde sera entraîné dans ce cycle… J’appelle nos frères du Golfe à nous aider… à utiliser certaines des richesses qu’Allah leur a octroyées pour sauver la Jordanie. » Il a conclu : « Il sera consigné dans les annales de l’histoire, et les gens se souviendront pour les générations à venir, que nous avons fait appel à eux, dans un moment de souffrance et de détresse. »

Après son sermon, Hilayel est remplacé ; des officiels jordaniens : il ne s’exprimait qu’en son nom propre

Le quotidien officiel Al-Rai a rapporté, le 22 janvier, que ces déclarations n’exprimaient que ses opinions personnelles. Il précise que cela avait été clarifié de manière explicite dans le sermon et que l’imam n’avait jamais prétendu s’exprimer à titre officiel.

Le 22 janvier, deux jours après le sermon d’Hilayel, la presse jordanienne a rapporté qu’il avait démissionné de ses fonctions de président de la Cour suprême islamique et d’imam de la Cour royale. Le même jour, un décret royal jordanien a confirmé la nomination par le gouvernement du Grand Mufti Abd Al-Karim Khasawneh comme nouveau président de la Cour suprême islamique.[1] Toutefois, selon certaines sources de la presse jordanienne et arabe en général, il n’aurait pas démissionné mais aurait été limogé suite au sermon.[2]

Dans une interview à la télévision jordanienne, le porte-parole du gouvernement Mohammed Al-Momani a observé que des officiels démissionnent quotidiennement dans le service public : l’un part et un autre est nommé à sa place. La Jordanie, a-t-il ajouté, est un pays ouvert et démocratique où les officiels sont libres d’exprimer leurs opinions. Concernant les relations entre la Jordanie et les pays du Golfe, il a qualifié les relations bilatérales de ces pays avec la Jordanie d’exemplaires, ajoutant que les pays du Golfe éprouvaient un grand respect pour la Jordanie. Les officiels du Golfe évoquent régulièrement la profondeur de ces liens, a-t-il observé, et la Jordanie elle aussi éprouve du respect et de l’estime pour ces pays. [3]

En outre, on pouvait lire dans le quotidien en ligne Rai Al-Yawm, le 22 janvier 2017, que la visite du prince Ali Bin Hussein de Jordanie au Koweït [4] au lendemain du sermon, et les déclarations du nouveau ministre des Affaires étrangères jordanien Ayman Al-Safadi en marge du Sommet économique de Davos, selon lesquelles la Jordanie s’oppose à l’ingérence iranienne dans les affaires intérieures des pays arabes, entraient dans le cadre des tentatives jordaniennes pour atténuer la colère de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe après le sermon d’Hilayel.

Le sermon a été prononcé dans un contexte de difficultés économiques en Jordanie et de colère contre les Saoudiens et d’autres pays du Golfe, qui ne lui ont pas apporté d’aide économique

Si ses partenaires du régime ont affirmé que le cheikh Hilayel exprimait son opinion personnelle dans le sermon, certains n’ont pas exclu la possibilité que c’était en réalité un message du régime jordanien aux pays du Golfe. Omar Al-Ayasra, éditorialiste du journal Al-Sabil, organe des Frères musulmans, a écrit qu’il n’était pas évident de savoir si les déclarations d’Hilayel ne reflétaient que ses sentiments personnels, ou si elles avaient été prononcées sur les instructions des autorités.[5] Le quotidien en ligne Rai Al-Yawm a également cité des sources politiques jordaniennes selon lesquelles les déclarations d’Hilayel pourraient indiquer que le gouvernement jordanien est perturbé par l’absence d’aide économique en provenance des pays du Golfe, et notamment d’Arabie saoudite.[6]

Il est à noter que la grave situation économique de la Jordanie a encore empiré au cours de l’année écoulée, avec un déficit budgétaire d’1,1 milliard de dollars et une dette de 37 milliards de dollars auprès de parties étrangères.[7] En outre, ces derniers jours, le parlement jordanien a approuvé un budget, qualifié par le gouvernement de budget « d’austérité »,[8] en raison des obligations de la Jordanie envers le Fonds monétaire international, qui conditionnent toute nouvelle aide économique à des restrictions budgétaires en Jordanie. Ce budget d’austérité a également contraint le gouvernement jordanien à augmenter les prix de certains produits, et à hausser les impôts, suscitant la colère de la population. Cette colère a retenti dans les médias jordaniens et dans les débats parlementaires qui ont vivement critiqué la mauvaise gestion gouvernementale de l’économie et les coupes dans le budget des citoyens.

On a également pu témoigner d’attaques dans les médias sociaux contre le gouvernement, et contre le roi Abdallah lui-même, qui ont déclenché une vague d’arrestations – y compris de généraux à la retraite et d’anciens députés, accusés de tenter de renverser le régime. [9] Le récent remaniement au sein du gouvernement jordanien n’a pas non plus apaisé les foudres, et on craint que la situation économique ne continue de se détériorer. Le 20 janvier 2017, une importante manifestation s’est déroulée à Amman contre les récentes hausses de prix. [10]

Dans ce contexte, on a assisté à des critiques occasionnelles contre l’Arabie saoudite et les pays du Golfe pour n’avoir pas suffisamment aidé la Jordanie économiquement, en dépit d’accords antérieurs garantissant une telle aide. En avril 2016, le roi Abdallah et le vice-prince héritier saoudien Mohammed bin Salman s’étaient rencontrés à Aqaba, avaient convenu d’une coopération plus étroite dans plusieurs domaines, et même signé un mémorandum d’accord sur la création d’un fonds d’investissement jordano-saoudien.[11]

Quelques semaines plus tard, lors du sommet de Riyad, le roi Abdallah et le prince Salman avaient signé un accord sur la création d’un conseil de coordination jordano-saoudien, dirigé par le Premier ministre jordanien et le vice-prince héritier saoudien, en vue de développer les idées consenties lors de la rencontre d’Aqaba. [12] Les Jordaniens attendaient une augmentation des investissements saoudiens en Jordanie, et de l’aide économique, et ont été déçus qu’elle n’intervienne pas. [13] Selon la presse arabe, les Jordaniens étaient furieux de voir l’Arabie saoudite traîner les pieds sur les questions jordano-saoudiennes laissées en suspens.[14]

Les critiques jordaniennes contre l’Arabie saoudite ont également été soulevées au lendemain du sermon du cheikh Hilayel. Ainsi, le président de la commission des finances du parlement jordanien, Ahmad Al-Safadi, a critiqué le sermon d’Hilayel, affirmant que « même s’ils nous font manger de la poussière, ce n’est pas une manière de s’exprimer ». Il a blâmé l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, observant qu’alors que la Jordanie défendait les frontières saoudiennes, elle n’obtenait rien en retour, et prévenu que « si quelque chose se produit en Jordanie, à Dieu ne plaise, le Golfe s’effondrera en quelques jours ».[15]

Quelques semaines auparavant, au cours des débats parlementaires sur le budget, le député Tariq Al-Khouri avait observé que la Jordanie avait défendu la frontière saoudienne et n’avait pas été récompensée pour cela.[16]

Il convient aussi d’observer que ce n’est pas la première fois que les Jordaniens critiquent l’absence d’aide à leur pays de la part des pays du Golfe. Ainsi, en mars 2015, dans le contexte de la visite du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Nasser Judeh, en Iran, le journaliste jordanien Nidal Mansour écrivait que l’un des messages que la Jordanie voulait faire passer par cette visite était que l’aide des pays du Golfe à la Jordanie était insuffisante, alors que l’Egypte recevait une aide considérable de leur part.[17] A la même époque environ, Samih Al-Maaitah, ancien porte-parole du gouvernement, ministre de l’Information et rédacteur en chef d’Al-Rai, avait déclaré que la Jordanie se sentait abandonnée par certains pays arabes frères, qui ne lui avaient pas fourni d’aide économique suffisante.[18]

De même, en octobre 2012, le journaliste politique du quotidien Al-Dustour soutenait que la Jordanie ne recevait pas d’aide économique suffisante de l’Arabie saoudite. Il faisait remarquer que la Jordanie protégeait la frontière Nord de l’Arabie saoudite, et sous-entendait qu’elle ne pourrait continuer à le faire si elle ne recevait pas d’aide supplémentaire de la part du royaume saoudien.[19]

La presse jordanienne après le sermon : Nous ne devons compter que sur nous-mêmes

Des éditoriaux de la presse officielle et semi-indépendante en Jordanie ont abordé le sujet des relations entre la Jordanie et les pays du Golfe de manière indirecte, appelant la Jordanie à cesser de se fier aux promesses de ses alliés et à compter surtout sur elle-même.

L’éditorial du 23 janvier du quotidien officiel Al-Rai a évoqué la situation économique catastrophique du royaume, et tenté d’apaiser les craintes grandissantes en affirmant que la Jordanie était capable de faire face à tous ses défis. Il a conclu en exhortant la Jordanie à ne compter que sur elle-même et a critiqué implicitement les Etats du Golfe ayant promis une aide sans la fournir. « La seule manière de s’extraire du cycle des crises que rencontre notre économie est de ne compter que sur nous-mêmes, car il n’y a pas lieu de continuer de compter sur les subventions, les aides et les promesses des alliés arabes et autres, qui ne tiennent pas leurs promesses et inventent des prétextes et des excuses, qui nous incitent à dire ‘Assez, nous sommes fatigués des atermoiements et des promesses’ ».[20]

Editorial d’Al-Rai du 23 janvier 2017

En “Une” de son édition du 23 janvier, le quotidien Al-Dustour a publié un article de son journaliste politique, appelant lui aussi la Jordanie à compter sur elle-même et à comprendre que les pays de la région avaient leurs propres crises économiques :

Les efforts nationaux doivent se focaliser d’abord et avant tout sur la préservation de nos réalisations, sur une plus grande confiance en nous-mêmes, et sur l’adaptation de [nos actions] à nos capacités et à nos revenus, de manière à nous ajuster aux circonstances qui nous entourent tout en maintenant le niveau [actuel] des services publics. Cela, en particulier au vu de la baisse des cours du pétrole qui a plongé les économies de la région dans le ralentissement économique et affecté les investissements dans la plupart des pays voisins…

La gestion du pays aujourd’hui et à l’avenir ne peut être menée avec les outils du passé. Nous devons comprendre la situation et les circonstances des pays voisins, qui connaissent des conflits internes ou qui subissent des [crises] économiques sans précédent. Au vu de la situation dans la région et de ses implications, nous devons pleinement recourir à notre puissance, afin de préserver le grand héritage et les réalisations de l’Etat jordanien… » [21]

Al-Dustour a publié un article de son journaliste attaché aux affaires locales qui souligne la « fraternité » et les « relations étroites entre la Jordanie et ses pays frères, les Etats du Golfe », et énumère les raisons pour lesquelles ces pays doivent investir en Jordanie.[22]

* H. Varulkar est directrice des recherches à MEMRI ; Z. Harel est chercheur à MEMRI.

Acerca de MEMRI

El Instituto de Investigación de Medios de Información en Medio Oriente (MEMRI) explora el Medio Oriente a través de los medios informativos de la región.

Deja tu Comentario

A fin de garantizar un intercambio de opiniones respetuoso e interesante, DiarioJudio.com se reserva el derecho a eliminar todos aquellos comentarios que puedan ser considerados difamatorios, vejatorios, insultantes, injuriantes o contrarios a las leyes a estas condiciones. Los comentarios no reflejan la opinión de DiarioJudio.com, sino la de los internautas, y son ellos los únicos responsables de las opiniones vertidas. No se admitirán comentarios con contenido racista, sexista, homófobo, discriminatorio por identidad de género o que insulten a las personas por su nacionalidad, sexo, religión, edad o cualquier tipo de discapacidad física o mental.


El tamaño máximo de subida de archivos: 300 MB. Puedes subir: imagen, audio, vídeo, documento, hoja de cálculo, interactivo, texto, archivo, código, otra. Los enlaces a YouTube, Facebook, Twitter y otros servicios insertados en el texto del comentario se incrustarán automáticamente. Suelta el archivo aquí

Artículos Relacionados: