Djemila Benhabib : Considérer le musulman non comme un opprimé à défendre, mais comme un être universel aspirant à la modernité

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Le 18 mars 2016, le quotidien algérien francophone Al-Watan accordait un entretien à l’auteure algérienne québécoise Djemila Benhabib, à l’occasion de la sortie de son ouvrage Après Charlie. «Laïcs de tous les pays, mobilisez-vous», écrit-elle, qualifiant les écrivains et penseurs algériens Kamel Daoud, Boualem Sansal et Amin Zaoui de phares dans l’obscurité. Extraits de l’interview d’Al-Watan : (1)

Djemila Benhabib : Les débats relatifs à l’islam sont censurés dans les démocraties occidentales

« J’ai toujours été sensible à la force des idées et à la brutalité déployée pour les étouffer. Lorsque la conférence de Mouloud Mammeri a été interdite en 1980, j’avais 8 ans et j’habitais à Oran. Bien entendu, je ne comprenais pas grand-chose à cette affaire. Néanmoins, interdire une parole libre me paraissait déjà suspect. (…)


L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille. Il y a deux façons de l’appréhender : la subir ou y participer. La dernière posture n’est pas de tout repos. Lorsqu’on est habité par une conscience, on se doit d’agir. Pour ma part, je le fais avec les mots et la parole. L’idée centrale de la citation que vous évoquez c’est la censure qui existe bel et bien dans les démocraties occidentales, s’agissant des débats entourant l’islam.

On « ne reconnaît pas l’universalité de l’être dit musulman. » On « voit en lui tout au plus un être dominé » qu’on « se donne pour mission de défendre »

Il y a une détestable police de la pensée qui a fait sa niche au sein de la gauche communautariste et qui considère que toute critique de l’islam relève du racisme et de la xénophobie. Cette pensée a fait son chemin dans les universités, les médias, les groupes féministes, les syndicats et les partis politiques. Elle ne reconnaît pas l’universalité de l’être dit musulman. Elle voit en lui tout au plus un être dominé qu’elle se donne pour mission de défendre.

Pour cette gauche communautariste, cet être doit être pensé exclusivement sous la lorgnette du religieux. Ce qui relève d’une méconnaissance profonde des aspirations à la modernité des peuples de la région, à commencer par les luttes d’indépendance nationale. Souvenez-vous de nos moudjahidate de la guerre de Libération. Leur souci était notre émancipation politique. Aujourd’hui, résister c’est porter avec fierté cet héritage, le transmettre à nos enfants et proclamer haut et fort que la religion ne doit pas interférer dans le champ politique. (…)

L’islamisme, c’est la fusion du politique et du religieux, mais pas seulement. C’est d’abord et avant tout l’idée que l’on se fait de l’homme et de sa contribution dans la cité. Pour faire court, les islamistes, qu’ils soient «fréristes» ou djihadistes, prétendent que tout a été dit et écrit dans le Coran et la sunna. Il ne nous reste qu’à appliquer ce qui est contenu dans ces textes dits sacrés. Le reste, c’est-à-dire, l’innovation, la création, les sciences, les arts, la culture, la literature, relèvent de la bid’a qu’il faut combattre par tous les moyens, quitte à assassiner les créateurs et les penseurs. En ce sens, les islamistes incarnent un projet mortifère.

« Le terrorisme n’est pas le simple fait de la montée de l’intolérance. C’est plus que ça. C’est la légitimation religieuse de l’exécution politique »

A cet éclairage philosophique, il faut bien entendu ajouter des éléments d’ordre géopolitique pour fermer la boucle. Le fait est que l’islam politique a gagné du terrain à partir des années 1980 en raison de la crise des Etats-nations, de la révolution islamique iranienne, du dynamisme de l’Arabie Saoudite et de sa diplomatie du portefeuille. Dans ces conditions, la parole des démocrates devenait de moins en moins audible. (…)

Comprenons-nous bien, le terrorisme n’est pas le simple fait de la montée de l’intolérance. C’est plus que ça. C’est la légitimation religieuse de l’exécution politique. De l’attentat-suicide, à l’assassinat du journaliste, à la lapidation de la femme adultère ou à la pendaison de l’homosexuel, nous sommes face à un processus de déshumanisation des masses pour asseoir une hégémonie planétaire qui nous rappelle exactement les précédés utilisés par les nazis pour contraindre et aliéner. (…)

La prise de conscience est réelle face à la menace islamiste. Elle ne vient pas forcément de là où on l’attend. Elle survient souvent de l’ombre à travers les voix de citoyennes et de citoyens prêts à affronter le déni d’une classe politique trop occupée à des calculs électoralistes. Ces gens-là me donnent de l’espoir et leur résistance me touche particulièrement. Je leur dois beaucoup, qu’ils soient au Québec, en France, en Algérie ou ailleurs. Il n’y a qu’à travers la mobilisation citoyenne que la résistance est possible.

« La femme est l’avenir du monde musulman »

(…) Des universitaires pétitionnaires qui ne supportent pas la pensée d’un homme libre nous renseignent sur leur incapacité à saisir le réel et à participer au débat d’idées. Ces universitaires ont perdu tout contact avec la réalité. Je leur conseille de marcher dans les rues du Caire ou d’Alger, ne serait-ce que quelques minutes pour saisir des attitudes qu’aucun livre, aussi puissant soit-il, ne parviendra jamais à rendre. Car en définitive, comment traduire en mots l’humiliation quotidienne du corps souillé par des mains pestiférées ?

Comment rester insensible à cette atteinte profonde à la dignité humaine ? De quoi a besoin le monde islamique à l’heure actuelle, de plus de liberté ou de moins de liberté, là est la question. Daoud agit et écrit en homme libre. Il pourfend l’étalage ostentatoire de la religion et replace l’Algérien ainsi que sa dignité au centre de nos préoccupations. Plus encore, il nous projette dans l’histoire et dans l’universel. Il reprend à son compte la célèbre citation d’Aragon : La femme et l’avenir de l’homme. Oui, la femme est l’avenir du monde musulman ! Daoud, tout comme Boualem Sansal et Amin Zaoui, pour ne citer que ceux-là, sont des phares dans l’obscurité. Ils sont notre honneur. »

(1) Les sous-titres ont été ajoutés par MEMRI 

 

Acerca de MEMRI

El Instituto de Investigación de Medios de Información en Medio Oriente (MEMRI) explora el Medio Oriente a través de los medios informativos de la región.

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